Comprendre le changement
L’une des préoccupations essentielles de tout décideur est la compréhension des évolutions de l’environnement dans lequel baigne son entreprise. Une fois acquise cette compréhension, son objectif est d’utiliser celle-ci pour la prévision.
Le but de notre démarche est donc tout à fait classique. Ce qui sera original c’est la façon dont nous allons essayer de l’atteindre. Nous allons partir de deux constatations : La vision du monde et la vision de l’homme qui a cours dans une société exerce une influence déterminante sur l’organisation sociale et économique.
Prenons quelques exemples :
Notre première constatation est donc l’existence d’un lien entre la vision du Monde qui a cours dans une société et son organisation. La deuxième c’est que, dans notre société, c’est la Science, et non plus la religion ou la philosophie, comme auparavant, qui contribue à établir cette vision du monde. Nous savons tous ce que nous devons à la Science en termes de niveau de vie, de durée de vie, etc… Donc consciemment ou inconsciemment nous nous remettons à elle quand il s’agit d’avoir une vision du Monde.
Ainsi notre vision actuelle du monde est basée sur les conceptions de la science classique qui, peu à peu, se sont diffusées dans la société. Elles nous invitent à concevoir l’homme comme un assemblage d’atomes, et le monde comme un ensemble de matières premières. Cela a eu et a encore de nombreuses conséquences au niveau philosophique et social. Notre société est celle du « comment » et non du « pourquoi ». ce qui est une conséquence logique de cette situation car il n’y a plus de justification à une quête du sens dans une vision réductionniste. C’est ainsi que notre société est à la fois le lieu des plus grandes réussites techniques mais aussi celui de la plus grande détresse humaine (comme le montrent les indicateurs tels que le taux de suicide des jeunes, la consommation de drogue, de tranquillisants…). Sur un plan pratique il est clair que le taylorisme est une simple application à l’entreprise de la vision de la physique classique : le Monde est une grande horloge constituée de rouages élémentaires. De même l’homme sera un rouage dans « l’horloge » qu’est l’entreprise. La publicité est à l’origine « pavlovienne » : elle est basée sur le principe « stimulus-réponse », comme si l’homme n’était qu’une machine.
Mais l’un des grands évènements de la fin du XXème siècle c’est que , dans toutes les disciplines scientifiques, une vision nouvelle a émergé – ou est en train d’émerger. Derrière l’étude des fondements de la matière, de l’origine de l’Univers, derrière les expériences concernant le fonctionnement de la conscience chez l’homme, derrière le déroulement de l’évolution de la vie, apparaît une certaine profondeur du réel. On peut ainsi montrer, au plan scientifique, que « ce qui est » ne se laisse pas réduire à ce qui est objectivable, matériel, mesurable, etc… Cela constitue un véritable « changement de paradigme », c’est-à-dire un changement de nos schémas de représentation.Or, comme nous l’avons vu, un tel changement de vision de peut manquer d’avoir un impact sur la société.
C’est ainsi que nous allons acquérir notre « clé de compréhension ». Reportaons-nous à la figure 1 : la courbe des Sciences nous montre l’évolution de nos conceptions, partant d’un état déterminisme très important – « Le ciel peut nous tomber sur la tête » - pour arriver, aux alentours des années 1990 à une vision complètement déterministe. C’est l’époque où Lord Kelvin déclare que « la physique a donné une description harmonieuse et à priori complète du monde », à l’exception de deux petits nuages noirs, qui sont deux expériences réalisées en 1887 et en 1900.
L’une des préoccupations essentielles de tout décideur est la compréhension des évolutions de l’environnement dans lequel baigne son entreprise. Une fois acquise cette compréhension, son objectif est d’utiliser celle-ci pour la prévision.
Le but de notre démarche est donc tout à fait classique. Ce qui sera original c’est la façon dont nous allons essayer de l’atteindre. Nous allons partir de deux constatations : La vision du monde et la vision de l’homme qui a cours dans une société exerce une influence déterminante sur l’organisation sociale et économique.
Prenons quelques exemples :
- Les chinois ont fait, plusieurs siècles avant nous, de nombreuses découvertes qui, refaites indépendamment en Occident, bouleverseront la société de la Renaissance : la poudre à canons, l’imprimerie à caractères mobiles, la boussole, l’horlogerie. Or, en Chine, ces inventions n’ont eu aucun impact.
- Pourquoi la science occidentale n’est elle pas née en Chine, puisque c’est là qu’ont d’abord été faites les inventions les plus fondamentales ? Les historiens des sciences qui se sont penchés sur ce problème ont montré que c’est parce que la vision du monde de la société chinoise à l’époque n’était pas adaptée ; dans la vision taoïste le monde n’est pas intelligible en soi, on fait donc des découvertes mais on ne cherche pas à les relier entre elles. Alors qu’en Occident la vison d’un Dieu « grand horloger » lancera les chercheurs sur la piste des lois de l’Univers qui doivent forcément exister puisqu’elles ont été créées par Dieu…
- Les grecs : les grandes idées économiques sont à l’origine, des idées grecques ;pourtant aucun philosophe grec ne s’est élevé contre l’esclavage. Cela peut sembler paradoxal, mais ne l’est pas si l’on prend en compte la vision de l’homme qui dominait dans la société grecque : il y avait d’un côté les grecs, de l’autre les barbares. Il en découle que, pour les grecs, il était normal que les barbares subissent l’esclavage.
Notre première constatation est donc l’existence d’un lien entre la vision du Monde qui a cours dans une société et son organisation. La deuxième c’est que, dans notre société, c’est la Science, et non plus la religion ou la philosophie, comme auparavant, qui contribue à établir cette vision du monde. Nous savons tous ce que nous devons à la Science en termes de niveau de vie, de durée de vie, etc… Donc consciemment ou inconsciemment nous nous remettons à elle quand il s’agit d’avoir une vision du Monde.
Ainsi notre vision actuelle du monde est basée sur les conceptions de la science classique qui, peu à peu, se sont diffusées dans la société. Elles nous invitent à concevoir l’homme comme un assemblage d’atomes, et le monde comme un ensemble de matières premières. Cela a eu et a encore de nombreuses conséquences au niveau philosophique et social. Notre société est celle du « comment » et non du « pourquoi ». ce qui est une conséquence logique de cette situation car il n’y a plus de justification à une quête du sens dans une vision réductionniste. C’est ainsi que notre société est à la fois le lieu des plus grandes réussites techniques mais aussi celui de la plus grande détresse humaine (comme le montrent les indicateurs tels que le taux de suicide des jeunes, la consommation de drogue, de tranquillisants…). Sur un plan pratique il est clair que le taylorisme est une simple application à l’entreprise de la vision de la physique classique : le Monde est une grande horloge constituée de rouages élémentaires. De même l’homme sera un rouage dans « l’horloge » qu’est l’entreprise. La publicité est à l’origine « pavlovienne » : elle est basée sur le principe « stimulus-réponse », comme si l’homme n’était qu’une machine.
Mais l’un des grands évènements de la fin du XXème siècle c’est que , dans toutes les disciplines scientifiques, une vision nouvelle a émergé – ou est en train d’émerger. Derrière l’étude des fondements de la matière, de l’origine de l’Univers, derrière les expériences concernant le fonctionnement de la conscience chez l’homme, derrière le déroulement de l’évolution de la vie, apparaît une certaine profondeur du réel. On peut ainsi montrer, au plan scientifique, que « ce qui est » ne se laisse pas réduire à ce qui est objectivable, matériel, mesurable, etc… Cela constitue un véritable « changement de paradigme », c’est-à-dire un changement de nos schémas de représentation.Or, comme nous l’avons vu, un tel changement de vision de peut manquer d’avoir un impact sur la société.
C’est ainsi que nous allons acquérir notre « clé de compréhension ». Reportaons-nous à la figure 1 : la courbe des Sciences nous montre l’évolution de nos conceptions, partant d’un état déterminisme très important – « Le ciel peut nous tomber sur la tête » - pour arriver, aux alentours des années 1990 à une vision complètement déterministe. C’est l’époque où Lord Kelvin déclare que « la physique a donné une description harmonieuse et à priori complète du monde », à l’exception de deux petits nuages noirs, qui sont deux expériences réalisées en 1887 et en 1900.
Mais « ces deux petits nuages » vont se transformer en deux tempêtes qui vont tout emporter sur leur passage, et qui auront pour noms relativité générale et physique quantique. Ainsi, alors que pendant les siècles précédents, les découvertes avaient permis de réduire la zone d’incertitude (voir figure 2), celle-ci s’accroît désormais en même temps que la connaissance (c’est-à-dire que la résolution d’un problème génère deux nouveaux problèmes , etc…).
Analysons ce qui s’est passé à la fin du Moyen Age. La vision dominante pour « l’establishment » de l’époque c’était la vision linéaire horizontale (voir figure n°3) : les choses se perpétuaient identiques à elles-mêmes. Lorsque la courbe des sciences commence à « décoller » le mouvement n’est pas perçu. Un indicateur significatif de ce fait est que Copernic (en 1543) n’est ni condamné, ni mis à l’index. Galilée, par contre, en 1610, sera obligé de se rétracter (et les œuvres de Copernic mises à l’index par la même occasion !). Alors qu’on aurait pu imaginer que plus on remonte dans le temps, plus règne l’obscurantisme, c’est le contraire qui est vrai : l’inquisition est une réaction à un changement de vision du monde (c’est à la fin du moyen âge qu’elle apparaît et non au début), une réaction face à un écart entre la réalité (voir la courbe de la figure n_°4) et la perception que l’on a. Au XIX ème comme au XX ème siècle, la vision du monde sera la vision linéaire ascendante (voir figure n°3), celle qui à l’Est part de la société féodale pour arriver au paradis marxiste, et à l’Ouest de la société préhistorique pour arriver à la société technologique et capitaliste. Cette vision correspond simplement à la tangente de la courbe des Sciences dans sa phase ascendante (voir figure N°4). Mais depuis 1900, la courbe des Sciences s’est inversée, entraînant le même décalage qu’à la fin du Moyen Age entre la réalité et la perception que nous en avons. Après cinq siècles de progrès vers le déterminisme, cinq siècles de croissance linéaire, on est tellement certain (c’est quasiment dans nos neurones !) qu’il ne peut en être autrement. Ainsi malgré tout ce qui s’est passé entre la Renaissance et le vingtième siècle, il s’agit du développement d’un même cadre conceptuel. La période actuelle est donc sans équivalent depuis la sortie du Moyen Age. Voyons en les conséquences. Tant que la vision du monde reste déterminée par la Science, une évolution des idées scientifiques ne peut manquer d’avoir un impact sur la société (voir figure 5). Or on peut constater une inflexion de la courbe de société au début des années 80 (voir figure 6). Toute une série de faits et d’indicateurs nous montre qu’il s’est « passé quelque chose » à ce moment-là. Le besoin de donner un sens à ses actes (de travail ou de consommation) s’est développé malgré la crise. La limite des structures d’organisation pyramidales et déterministes, apparue depuis déjà un certain temps, a commencé à être admise, les valeurs de liberté ont pris le pas sur les valeurs d’égalité. La vision nouvelle nous dit qu’un sens peut exister dans l’Univers, que l’homme n’est pas qu’une machine, que la coopération est parfois plus fructueuse que la confrontation, et l’on voit se développer les entreprises qui, en interne comme en externe, appliquent (ou disent appliquer) ces principes. Des tentatives comme celles de Body Shop qui fait social de l’entreprise le pilier de sa stratégie, ou d’Apple qui base sa publicité sur une vision non-mécaniste de l’homme, illustrent ce mouvement qui, au niveau de l’organisation des entreprises, se traduit par l’apparition de structures en réseaux plus souples, plus réactives, plus aptes à faire face à l’incertitude, que les structures monolithiques d’antan.Alors que la bonne entreprise était, dans un cadre conceptuel taylorien, celle qui éliminait toute incertitude de son fonctionnement, la bonne entreprise, dans le cadre conceptuel actuel, c’est celle qui s’adaptera le mieux à l’incertitude. Comme par hasard, un siècle avant le taylorisme, la physique de Laplace expliquait que l’Univers était parfaitement déterministe, incitant ainsi l’activité humaine à se calquer sur ce modèle, alors qu’au contraire, depuis le début du siècle, la physique quantique nous dit que l’incertitude est irréductible dans l’Univers. |
Cette « diffusion verticale » des concepts qui prend près d’un siècle est particulièrement intéressante, car elle nous permet de séparer les tendances de fond des modes. Prenons l’exemple des médecines douces. A ceux qui s’énervent devant leur succès en traitant l’engouement du public pour elles de « sommeil de la raison » il est facile d’expliquer qu’une médecine qui prétend traiter l’homme comme un tout global et non comme un ensemble d’organes, soigner différemment deux hommes atteints de même maladie, est tout à fait en phase avec les conceptions nouvelles, à l’opposé du « taylorisme » de la médecine classique (quels que soient les succès importants qu’elle puisse rencontrer). Les hypermarchés sont à priori le royaume du quantitatif (prix, choix) ; pourtant les dernières campagnes Auchan ou Monoprix insistent sur tout autre chose (Concept « Auchan tout pour la Vie », ou la campagne Monoprix « Nos magasins sont petits et près de chez vous », campagnes impensables il y a 10 ans). Il y a trois millions de chômeurs, mais on voit des salariés abandonner des situations « en or » pour travailler des ONG, tels « Médecins sans frontières ». Ces exemples, avec le succès des campagnes » en achetant nos produits vous aidez telle ou telle cause » sont les révélateurs d’un besoin de sens qui traverse toutes les couches de la société, et qui s’exprime dans la vie professionnelle comme dans la vie privée.
Reste une question fondamentale : si la réflexion ébauchée ici permet de comprendre un certain nombre d’évolutions et de prévoir le développement de certaines tendances, en quoi avons-nous le droit de relier cela à l’évolution des idées en Science ? Après tout, si le taylorisme est dépassé, c’est que l’on s’est aperçu de ses limites, on n’avait pas besoin de la physique quantique pour cela !
Je ne peux pas revenir en 1900 et tuer les pères fondateurs des « nouvelles sciences » pour vous trouver le contraire. Mais j’ai deux arguments pour soutenir ce que j’avance. Tout d’abord, l’organisation du travail. Ce domaine dépend-il de la Science ou de la Société ? Des deux puisqu’il faut que la société accepte une forme donnée d’organisation du travail et que la Science la permette. Or le point d’inflexion de la courbe d’organisation du travail est situé en 1930, exactement au milieu de la distance séparant le point d’inflexion de la courbe de Sciences du point d’inflexion de la courbe de Société, et c’est exactement ce que l’on devrait observer pour une valeur dépendant autant de la Science que de la Société (voir figue n°7). Ce n’est pas une preuve définitive de la validité de mon modèle mais cela indique qu’il possède une certaine cohérence.
Comment peut-on dater avec précision l’inflexion de la courbe d’organisation du travail ? c’est parce qu’en 1930 est observé le fameux »effet Hawthorne ». C’est dans cette banlieue de Chicago que la Western Electric mena une expérience restée célèbre. Une vingtaine d’ouvrières, parmi les 29000 que comptait l’usine furent isolées et on améliora leur condition de travail. A chaque amélioration, elles répondirent en améliorant leur productivité horaire. Cela correspondait parfaitement au schéma taylorien dans lequel l’homme fournit des réponses prédictibles à des stimulus donnés. Mais un jour, on eut l’idée de supprimer tous leurs avantages acquis. Et que croyez vous qu’il arriva ? La productivité horaire augmenta encore ! Ce résultat était impénétrable dans le cadre taylorien. C’est ainsi que l’on appris que l’augmentation de la productivité horaire était aussi due au fait que ces vingt ouvrières ne se sentaient plus des êtres anonymes perdus au milieu des 29.000 autres, mais des personnes humaines auxquelles s’intéressaient chaque jour ces messieurs importants avec des chapeaux haut de forme. Ce fut ainsi que l’on comprit que le facteur humain dans l’entreprise échappait à la rationalisation.
Mon deuxième argument provient de l’étude de la civilisation grecque. Combien de fois croyez vous que les grecs ont découvert que le contrat de travail entre hommes libres était plus performant que l’esclavage ? Des milliers de fois ! Chaque fois qu’ils affranchissaient un esclave, ils constataient forcément qu’il était plus performant, dans la même fonction, maintenant qu’il travaillait pour lui. Ont-ils aboli l’esclavage ? Non ! En 800 ans de civilisation, les grecs n’ont pas aboli l’esclavage ! Pourquoi ? Parce que la vision du Monde est première ! C’est un facteur clé qui, dans une société, prime même sur l’évidence ! Voilà ce qui me permet d’affirmer que si toute le nouvelle vision du monde que vous avez pu appréhender lors de ce colloque ne s’était pas développée nos schémas d’organisation, de comportements, de consommation, n’auraient pas évolué de la même façon, et que l’on peut utiliser le lien Science => vision du monde =>Société pour prévoir l’évolution de ces facteurs au cours des prochaines décennies (étant donné l’existence du décalage et le fait que le changement de vision, qui prend plusieurs décennies, commence juste à exercer son impact sur la société).