A la recherche de l'auteur de l'Evangile de Jean :
une clé pour une compréhension nouvelle du Christianisme
Jean Staune
Résumé
Le but de cet article est de démontrer qu’il existe depuis près de Mille sept cents ans une confusion entre deux Jean : Jean, fils de Zebedée, pécheur en Galilée, dont les Actes des Apôtres eux-mêmes nous apprennent qu’il était illettré, et Jean « le disciple que Jésus aimait », un lettré de haut niveau vivant à Jérusalem et proche de la famille du Grand Prêtre.
Une analyse comparative des Evangiles synoptiques par rapport à l’Evangile de Jean montre qu’il n’existe aucun recouvrement entre les activités des deux à part leur présence commune à la Cène.
L’existence du « disciple que Jésus aimait » auteur du 4eme évangile, n’est jamais mentionnée par les synoptiques et les Actes des Apôtres pour deux raisons : d’abord pour préserver sa sécurité (il vivait au cœur du Sanhédrin !), ensuite parce que les synoptiques et les Actes reflètent le point de vue des Douze. Ainsi Jacques le Juste a été à la tête d’une église juive de Jérusalem et les Actes des Apôtres eux-mêmes sont obligés de mentionner au passage que Jacques avait prééminence sur Pierre, puisque c’est lui qui conclut le fameux « Concile de Jérusalem »... tout en nous donnant le minimum d’information sur sa vie et ses idées. Les Actes des Apôtres mentionnent longuement ce Concile (15,1-22) et ses conséquences sans jamais mentionner la présence de Jean. Or, dans la version donnée par Saint Paul de la même réunion, il précise en Galate 2, 9 qu’il rencontre dans l’ordre Jacques, Pierre et Jean, qui passent pour êtres les piliers de la nouvelle communauté chrétienne en train de se développer. Il y a tout lieu de penser que le Jean mentionné par Paul ici est bien le disciple que Jésus aimait, auteur du quatrième évangile, Paul n’ayant pas de raison de passer son existence sous silence. Quand à Jean, fils de Zébédée, il serait mort en même temps que son frère Jacques, (comme Jésus lui même l’avait annoncé, voir Marc 10, 32-40) avant la fameuse réunion de Jérusalem.
Il y a des dizaines d’arguments en faveur d’une différentiation entre Jean, fils de Zébédée et Jean auteur du quatrième Evangile, et aucun argument en faveur d’une fusion de ces deux personnes, surtout pas le témoignage de Saint Irénée que nous avons analysé en détail, et qui est souvent présenté en faveur de cette fusion. En effet, dans « Contre les Hérésies » il mentionne 74 fois Jean « le disciple du Seigneur », mais jamais il ne l’appelle Jean, fils de Zébédée ou Jean l’un des Douze. Apres analyse, le témoignage de Saint Irénée vient donc soutenir la thèse présentée ici et non la contredire.
Mots clés : Evangile de Jean, Le disciple que Jésus aimait, Martyre de Jean, fils de Zébédée, Jacques le juste, Saint Irénée, Eusèbe de Césarée, Denys d’Alexandrie, Papias, Polycrate, Canon de Muratori, Authenticité des Evangiles, La Cène, Les Douze, Actes des Apôtres
Plus de la moitié de l'humanité se réfèrent au Christ, soit comme l'incarnation de Dieu, soit comme l'un des plus grands prophètes. Mais qui était-il, et que sait-on exactement de lui?
L'expression « parole d'évangile », qui existe encore dans la culture populaire, nous montre que pendant longtemps les évangiles ont été interprétés au sens littéral. Puis l'exégèse critique de ces textes a montré l'existence de nombreuses contradictions, et de couches de rédaction différentes dues à différents auteurs. Une déconstruction a alors commencé, au nom de la rationalité et de la raison, qui voulait faire pénétrer notre compréhension de Jésus dans le monde moderne. Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, auteurs d'une série sur Arte qui a eu un grand retentissement, « Corpus Christi » nous disent dans leur ouvrage «Jésus contre Jésus» : « En 1849 Ernest Renan affirmait "à peine peut-être en exprimant de tous les évangiles ce qu'ils contiennent de réel, obtiendrait-on une page d'histoire sur Jésus". Et un siècle plus tard Maurice Goguel d'ajouter : "là où Renan parlait d'une page certains critiques ne parlent plus que d'un ligne". Quant à Rudolf Bultmann, il estimait que l'on ne pouvait définitivement rien savoir de Jésus, rien sur sa vie ni sur sa personnalité, rien de rien.[1]» C'est ainsi que dans leur ouvrage Mordillat et Prieur nous offrent toute une série de portraits différents de Jésus. Pacifiste ou violent, tourné vers les juifs ou au contraire vers les gentils, voulant ainsi démontrer que chacun est libre de se faire sa conception de Jésus et qu'aucune de ces conceptions n'a plus de valeur qu'une autre. Voici un exemple de commentaire d’un de leurs « disciples » (si l’on ose dire) sur leur ouvrage : « À l’aide d’une abondante documentation, Mordillat et Prieur expliquent, lisiblement et méthodiquement, comment Jésus, atypique prophète juif galiléen, est finalement devenu Christ après de savantes manœuvres. Étape par étape, ils racontent comment ce Christ a été créé, inventé de toutes pièces, par des écrivains chrétiens visiblement doués pour la littérature fantastique.[2]»
Cet article est la toute première petite pierre d'un vaste projet de « déconstruction de la déconstruction ». J'ai préparé pendant 20 ans la démarche qui a abouti à mon ouvrage "Notre existence a-t-elle un sens?"[3] dans lequel j'ai montré que la science, la raison, et la rationalité, qui pendant près de deux siècles, et encore aujourd'hui par beaucoup, ont été présentés comme supportant une vision du monde matérialiste et athée, permettaient au contraire de donner toute sa crédibilité, sans la prouver, à une vision non matérialiste du monde qui soit en phase avec les intuitions principales des grandes religions de la planète selon lesquelles il existe un ou plusieurs autres niveaux de réalité auxquels l'esprit de l'homme serait relié.
De la même façon, la présente démarche cherche à montrer que la raison et la rationalité, le raisonnement, la logique appliquées à l'analyse des textes, permet de conclure que, si la vision traditionnelle de Jésus donnée par l'Eglise doit être quelque peu adaptée, celle-ci est néanmoins plus proche de ce que l'on peut tirer d'une analyse rationnelle des textes que les visions modernistes et relativistes que nous avons mentionnées. Ces approches ont un talon d’Achille, qu’en toute bonne foi, de nombreux universitaires et exégètes ne réalisent pas : elles présupposent ce qu’elles cherchent à démontrer avec des raisonnements du type : «nous savons que les miracles n'existent pas donc quand l'Évangile parle de miracles, il s'agit d'une invention ; nous savons que les anges n'existent pas, donc quand on fait référence à des anges c'est qu'il s'agit d'un mythe ; nous savons que la résurrection n’existe pas, etc[4]…
Un bon exemple est fourni par l'ouvrage d'un ancien jésuite et théologien de haut niveau, Jean Matthieu Rosay : « je ne crois pas un mot de tous les récits évangéliques, de l’aube de Pâques au jour de l'Ascension, mais à travers leur mise en scène mythique j'adhère, tout comme Saint Paul, au message qu'ils véhiculent : le Christ est vivant. Sans cette réalité je ne serai pas chrétien aujourd'hui près de deux mille ans après que l'on ait décroché d’une croix cette horrible dépouille d'un homme lacérée, transpercée et brisée, et qui selon toute vraisemblance a été balancé dans la décharge publique et abandonnée aux vautours »[5].
Il est intéressant de noter que Jean Mathieu Rosay avait déjà ces idées quand il était prêtre et enseignait le catéchisme aux enfants. Combien de prêtres partagent aujourd'hui cette approche du christianisme mais n'osent pas le dire car, contrairement à Jean Matthieu Rosay, ils n’ont pas quitté l’institution ecclésiastique ?
J'entreprends ce travail avec une grande humilité, car je n'ai pas de formation d'exégète, et je ne parle ni le Grec, ni le Latin. Et un très grand nombre d'esprits brillants et cultivés se sont déjà penchés depuis près de deux mille ans sur les questions que je vais traiter. Néanmoins, je pense avoir développé une méthodologie d'analyse des faits et des raisonnements qui peut s'appliquer à des domaines très différents. J'ai ainsi, au cours des dernières années, étudié des problèmes relevant de domaines aussi différents que la philosophie des sciences, le climat et le nucléaire.
A chaque fois, j'ai commencé par une étude aussi détaillée et approfondie que possible en fonction de mes compétences du domaine concerné, des faits, des arguments et des raisonnements présentés par les différents protagonistes, pour essayer par une analyse rationnelle d'en tirer un certain nombre de conclusions pouvant guider l'opinion de tous ceux intéressés par ce sujet, tout en étant respecté, à défaut d'être approuvé, par les spécialistes.
C'est exactement ce que je voudrais faire dans le domaine de l'exégèse et de l'analyse, non seulement des textes bibliques mais des textes religieux en général.
Les résultats préliminaires m'ont déjà montré qu'il est parfaitement possible d'identifier avec une quasi-certitude des bribes de propos originaux de Jésus, quels qu'aient pu être les réécriture des Évangiles. Ainsi en Mathieu 11,2 Jean-Baptiste avant de mourir envoie ses disciples poser à Jésus la question de savoir s'il est bien le Messie. Et voici la réponse de Jésus (Matthieu 11,4-6) :
"Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute!"[6]
Concentrons-nous sur la dernière phrase, pourquoi Jésus dit-il "heureux celui pour qui je ne serais pas une occasion de chute" dans un tel contexte ? Jean-Baptiste a lui-même déclaré que Jésus était le Messie, il lui demande avant de mourir une dernière confirmation, pourquoi se scandaliserait-il d'une réponse positive de Jésus ? C'est que Jésus-Christ dit bien autre chose. La réponse qu'il fait est une reprise d'Esaïe 35, 5-6 : Alors s'ouvriront les yeux des aveugles, s'ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux sautera comme un cerf. Et la langue du muet éclatera de joie. Car des eaux jailliront dans le désert, Et des ruisseaux dans la solitude.
Or Jésus sait parfaitement que Jean-Baptiste, comme tous les juifs religieux de son époque, connaît par cœur la Bible et qu'il sait qu'avant Esaïe 35,5, il y a Esaïe 35,4 où il est dit : « Voici votre Dieu, … La rétribution de Dieu. Il viendra lui-même, et vous sauvera. »
Jésus répond donc à Jean-Baptiste au moment où celui-ci va mourir : « tu as droit à la vérité, je suis plus que le messie, je suis Dieu mais je sais pertinemment que cela est inacceptable et incompréhensible pour toi, et que tu vas t'en scandaliser. Pourtant en un moment pareil, tu as droit de savoir la vérité. » Voilà la teneur de la réponse de Jésus qui utilise les versets d'Esaïe 35,4-6 pour faire passer à Jean-Baptiste ce message incroyable.
On voit donc bien ici que l'évangile de Mathieu a gardé, pris sur le vif, la trace d’un dialogue authentique, ainsi que la façon dont Jésus a fait passer en quelque sorte un message codé à Jean-Baptiste. Aucune personne écrivant plusieurs décennies après la mort de Jésus dans un milieu où tout le monde était persuadé que Jésus était le fils de Dieu et son incarnation, n'aurait mis de tels propos dans la bouche de Jésus parlant à Jean-Baptiste. Ne serait-ce que parce qu’un tel rédacteur aurait lui-même était persuadé que Jean-Baptiste avait annoncé la venue du fils de Dieu, et non comme Jean-Baptiste l'a sans doute probablement pensé lui-même, la venue du Messie juif annoncé par la tradition.
Si ces propos sont bien des propos authentiques de Jésus, cela déconstruit totalement le discours consistant à dire que Jésus a été fait « incarnation de Dieu », « fils de Dieu » à posteriori par ses disciples, entre autres grâce à l'influence de Paul, et que lui-même n'avait en aucune façon une telle prétention. On en revient donc ici à l'argumentation de C.S Lewis : soit le Christ est un mythomane, soit il est vraiment l'incarnation de Dieu, mais il ne peut pas y avoir de position intermédiaire, si, encore une fois, notre décryptage de cet échange entre Jésus et Jean-Baptiste est exact[7].
Ainsi en est-il aussi de l’analyse de la fameuse expression de Jésus sur la Croix Mon Dieu, mon Dieu pourquoi tu m'as abandonné ?
(Marc 15,34, Matthieu 27,46).
Combien de textes ont-ils été écrit à ce sujet par des chrétiens pour montrer comment Jésus avait épousé jusqu'au bout la condition humaine en se sentant abandonné du Père dans ce moment-là. Les musulmans en tirent argument pour en déduire que Jésus ne pouvait pas être Dieu : comment pourrait-il être séparé de lui même ? En fait toutes ces approches sont réfutées par un simple petit détail, il est bien précisé par les Évangiles que Jésus à dit en araméen Éloï, Éloï, lama sabachthani. C’est à dire qu’il a utilisé le mot « Éloï » qui veut dire « Dieu » alors que dans tous les évangiles, quand il s'adresse à Dieu, il emploie le mot araméen « Abba », un terme très familier qui signifie « Papa ». S'il avait vraiment voulu dire au sens propre que Dieu l’avait abandonné, il aurait dit « Abba, Abba… » et non pas « Éloï, Éloï ». En fait il cite la première phrase du psaume 22 qui contient à la fois l'annonce de la crucifixion, le partage des vêtements, mais aussi le fait que ce Dieu unique sera annoncé jusqu’aux confins de la terre, que les plus puissants se prosterneront devant lui, et qu’un nouveau peuple va naitre (celui des chrétiens)… ce qui est parfaitement exact, mais ne se réalisera que bien des siècles après l’écriture des évangiles. En d'autres termes Jésus est en train de dire : « Vous n'êtes pas en train d'assister à la mort d'un misérable chef de bande comme il en a eu tant, mais à un événement destiné a marquer l'histoire humaine et qui est prévu depuis plusieurs centaines d'années ». Sur la base d’une simple analyse rationnelle du vocabulaire employé cette hypothèse est infiniment plus crédible que l'hypothèse moderniste d’un Jésus se plaignant d’être abandonné de Dieu[8].
Ces exemples ne sont donnés ici qu'à titre d'introduction méthodologique, car notre sujet aujourd'hui est l'Evangile de Jean et son auteur.
Si j'ai choisi ce thème, c'est qu'il me semble qu'il s'agit de l'un de ceux où la méthodologie proposée peut nous permettre de réaliser d'importants progrès.
Pour la tradition classique de l'Eglise, l'auteur du quatrième évangile est Jean fils de Zebédée et frère de Jacques, un des douze apôtres. Cette position nous est par exemple encore rappelé récemment par des un prêtres catholiques que j'estime le plus, le père Nicolas Buttet dans un ouvrage consacré à l'Évangile de Jean. Un autre prêtre catholique que j’estime tout autant, et qui occupe d'importantes fonctions universitaires, me répondait quand je l'interrogeais sur l'identité du « disciple que Jésus aimait », expression par laquelle l'auteur du quatrième évangile se désigne lui-même, qu'il s'agissait d'une figure de style, d'une expression visant à représenter la communauté des disciples de Jésus, un disciple idéal, celui qui penche sa tête sur le sein de Jésus, qui accueille la Vierge chez lui, ou qui court vers le tombeau vide, symbole de la course de l’homme vers la résurrection.
La majorité des exégèses des époques récentes et actuelles voit dans l'Évangile de Jean le texte le plus tardif et donc le plus éloigné du véritable Jésus. Il aurait été écrit à la toute fin du premier siècle, dans une communauté de disciples de Jean réfugiés en Asie Mineure pour échapper aux persécutions. Ce serait le moins juif et le plus grec de tous les Évangiles, et donc celui qui serait le moins susceptible de nous informer sur le véritable Jésus historique.
Un raisonnement logique basé sur les textes, mais aussi sur une bonne connaissance du judaïsme du premier siècle, peut, selon moi, démontrer assez facilement que ces trois propositions sont toutes aussi fausses les unes que les autres.
Il est d'abord essentiel de noter qu'à l'exception de la Cène (et de la dernière rencontre avec Jésus en Jean,21) où ils sont tous les deux présents, il n’existe aucun recouvrement entre les actions accomplies et les situations où se trouvent Jean fils de Zébédée, selon les évangiles synoptiques et l'auteur du quatrième évangile selon cet évangile, qui ne se désigne jamais lui-même autrement que sous le vocable «un disciple », « l’autre disciple » ou « le disciple que Jésus aimait », et dont la tradition des Pères de l'Église nous apprend qu'il s'appelait Jean. Un prénom très répandu à l'époque, où les confusions étaient d'autant plus faciles que les noms de famille n’existait pas. Ainsi un des disciples accompagnant Paul et qui s'appelle Jean est surnommé Marc pour éviter ce type de confusions.
Selon Marc, 1,16-19, c'est sur le lac de Tibériade que Jésus appelle Jean et son frère Jacques, fils de Zébédée à la suivre.
Selon l'Évangile de Jean (Jean 1, 35-40), l'auteur qui est un disciple de Jean-Baptiste se met à suivre Jésus avec André, frère de Pierre (c'est là le premier lien, mais il y en a peu, entre l'auteur du quatrième évangile et les Douze apôtres), alors qu'ils sont avec Jean-Baptiste quelque part à proximité du Jourdain, près de la ville de Béthanie. Jean et Jacques, fils de Zébédée assistent à la Transfiguration, mais le quatrième évangile ne parle absolument pas de cet événement. À l'inverse, il mentionne la présence du disciple que Jésus aimait au pied de la Croix, alors qu'aucun synoptique ne mentionne la présence d’un des Douze apôtres au pied de la Croix. On peut penser qu'ils n'auraient pas manqué de le faire si cela avait été le cas, ne serait-ce que pour « sauver l'honneur » de ce groupe essentiel au développement de la foi chrétienne. L’Évangile de Jean est le seul à parler de la résurrection de Lazare, un passage essentiel de cet évangile (Jean 11,1-44)… mais il ne fait, ni à cette occasion, ni avant, la moindre allusion, même indirecte, à la première résurrection d’un mort faite par Jésus, celle de la fille de Jaïre … à laquelle Jean fils de Zébédée a personnellement assisté comme prennent soin de le préciser les synoptiques (Marc 5,35-42, Luc 8, 51-55) ! Comme le fait remarquer Pierson Parker, pour Jean, Jésus est « La résurrection et la vie » (Jean 11,25), comment pourrait il passer sous silence une résurrection à laquelle il a assisté[9] ?
Mais surtout, la comparaison de l'Évangile de Jean avec les trois évangiles synoptiques montre l'activité de Jésus sous un angle complètement différent. En effet, les synoptiques décrivent une activité qui se déroulent essentiellement en Galilée et Jésus ne monte à Jérusalem pour Pâques qu’à la toute fin de sa vie, pour y être accueillit par certains comme le messie et être mis à mort par les Romains à la demande des autorités du temple et du Sanhédrin. Dans l'Évangile de Jean, Jésus est présent à cinq reprises en deux ans à Jérusalem. Pour une première Pâques, (Jean 2,13), pour une autre fête (Jean 5.1) ; il ne se montre pas à Pâques la deuxième année, probablement car il est déjà recherché par les autorités du Temple, mais il est présent à la fête des Tabernacles (Jean 7,10), puis à la fête de la Dédicace (Jean 10,22), avant bien sûr de revenir pour la Pâques finale, comme dans les autres évangiles.
Si l'Évangile de Jean emploie l'expression "monter à Jérusalem", il emploie aussi une expression qui psychologiquement, est peu probable pour un galiléen parlant d'un autre galiléen quand il dit en 4,54 que Jésus « est venu de Judée en Galilée », ou 1,43 « qu'il a voulu se rendre en Galilée ». Tout se passe comme si l'auteur du quatrième évangile avait essentiellement rencontré Jésus à Jérusalem et qu’il l'avait occasionnellement accompagné Jésus lors de deux ou trois voyages en Galilée, comme pour les noces de Cana et la prédication à la synagogue de Capharnaüm, ainsi que pour les débats qui s'en sont suivis.
Plus étonnant encore, le groupe des Douze n'est mentionné qu'une seule fois dans l'Évangile de Jean (6, 67-71). On peut penser qu'avec la Cène c'est la seule rencontre entre l'auteur de l'Évangile de Jean et les Douze au grand complet.
En effet, contrairement aux synoptiques, l'identité des Douze n'est jamais précisée. On mentionne uniquement la moitié d'entre eux (Pierre, André, Thomas, Philippe, Jude et Judas).
Plus étonnant au plan psychologique, alors que Jacques et Jean fils de Zébédée sont quasiment toujours mentionnés ensemble par les évangiles synoptiques comme s'ils étaient inséparables, Jacques n'est pas mentionné une seule fois dans l'évangile de Jean ! Cela semble tout simplement impossible si l'auteur était Jean fils de Zébédée. Un disciple comme Nathanaël[10] est mentionné dans cet Évangile; mais aucun des synoptiques ne le mentionne, pas plus que la rencontre nocturne avec Nicodème et les nombreux débats que Jésus a avec les pharisiens, c'est-à-dire des membres du Sanhédrin et des autorités juives du temple, débats qui pour l'essentiel se déroulent à Jérusalem lors des cinq venues de Jésus dans cette ville.
On peut ainsi comprendre le désarroi de ceux qui comme Claude Guérillot dans son ouvrage "Le témoin du Christ" veulent absolument faire de Jean, fils de Zébédée, l'auteur du quatrième évangile. On y lit des phrases telles que « il y ici une importante divergence entre les évangiles synoptiques et l'Évangile selon Jean, concernant l'appel du disciple[11] » ou « l'évangile selon Jean ne parle pas de la transfiguration, pourtant les trois évangiles synoptiques sont unanimes à rendre compte de l'événement et à affirmer la présence de Jean[12] », «il n'est plus question de Jean après la mort de Jésus dans les synoptiques, il est possible de s'en étonner.[13] » Bien entendu, tous ces étonnements n'ont pas lieu d'être, si Jean fils de Zébédée et Jean, auteur du quatrième évangile sont deux personnes bien distinctes.
Mais alors qui était ce disciple, auteur du 4eme évangile si ce n’était pas Jean fils de Zébédée? Le texte nous donne plusieurs indications importantes qui nous permettre d’avoir quelques certitudes et de proposer quelques hypothèses qui, tout en restant spéculatives paraissent néanmoins assez crédibles. Le point central est celui-ci : après son arrestation, Jésus est amené chez Hanne. Ce n’est pas le Grand Prêtre en exercice mais le beau-père de Caïphe, le Grand Prêtre actuel. Néanmoins Hanne apparaît comme le véritable patron du Judaïsme de l’époque. Il fut non seulement grand prêtre, mais en plus de son beau-fils Caïphe, cinq de ses fils seront grands prêtres entre 16 et 63. On peut donc dire qu’il est le chef d’une famille qui « régnât » véritablement sur le Judaïsme pendant près d’un demi-siècle. C’est donc lui l’autorité suprême chez qui on amène Jésus pour interrogatoire. Or, l’Evangile de Jean nous précise, en 18,15, que le disciple en question, toujours non nommé, était connu du grand prêtre honoraire Hanne, et que non seulement il put suivre Jésus chez lui mais même y faire rentrer Pierre qui avait été dans un premier temps refoulé. Ce serait un peu, toute proportion gardée, avoir le pouvoir de faire rentrer à l’Elysée ou à Matignon un inconnu. Cela implique une très forte proximité entre l’auteur de l’Evangile et la famille du grand prêtre. Certains exégètes, tels Claude Guérillot, mettent naïvement la charrue avant les bœufs. Ils nous disent « vous voyez bien que Jean n’était pas qu’un pécheur analphabète de Galilée puisqu’il est capable de faire rentrer quelqu’un dans la maison du Grand Prêtre ! », ne se rendant pas compte qu’ils ne font que postuler ce qu’il s’agit de montrer, c’est à dire que Jean, fils de Zébédée, est l’auteur du 4eme Evangile[14]. Il n’est donc pas étonnant qu’ils arrivent à cette conclusion. Plus fort encore, l’auteur du 4ème Evangile, contrairement à Pierre, assiste en personne à l’interrogatoire de Jésus, devant une sorte de tribunal officieux, mis en place pour l’occasion (ce n’est pas une réunion officielle du Sanhédrin). Cet interrogatoire tourne court quand Jésus dit (Jean 18,21) « Pourquoi m’interroges-tu ? Interroge sur ce que je leur ai dit ceux qui m’ont entendu. Voici, ceux là savent ce que j’ai dit ». Le « Voici ceux-là savent ce que j’ai dit » permet de penser que Jésus a désigné des personnes physiquement présentes dans la salle, au premier rang desquelles se trouve bien entendu le « disciple que Jésus aimait ». La réaction du Grand Prêtre est assez étrange ; il fait gifler Jésus et arrête net l’interrogatoire en envoyant Jésus à son beau-fils pour un autre interrogatoire sur lequel aucune information ne nous sera donné, ce qui semble montrer que l’auteur de l’Evangile a bien assisté au premier interrogatoire et nullement au second. Pourquoi une telle réaction et cette précipitation ? Une hypothèse assez probable, c’est que Hanne s’est senti mis en danger par la réponse de Jésus. Pour qu’il soit mis en danger, il faudrait que parmi les personnes désignées il y ai eu quelqu’un d’extrêmement proche de lui, un de ses fils par exemple. Cela pourrait être également le cas s’il s’agissant d’un de ses neveux, mais cela aurait quand même eu beaucoup moins de poids. C’est sur cette réaction que Joseph Duponcheele base son hypothèse selon laquelle Jean est un des fils de Hanne non référencé par la tradition, c’est à dire un de ceux qui n’est pas devenu grand prêtre[15] ; voir Jésus faire allusion au fait que l’un de ses fils était un de ses principaux disciples ne pouvait que rendre furieux le Grand Prêtre et l’amener à se dessaisir de cette affaire.
Un autre point intéressant c’est quand le disciple que Jésus aimait et Pierre courent tous les deux vers le tombeau de Jésus (Jean 20,4). Il est bien précisé qu’il arrive le premier mais qu’il n’entre pas (Jean 20,5) et que c’est seulement après l’entrée de Pierre qu’il rentre dans le tombeau. Dans l’hypothèse où il s’agirait de Jean fils de Zébédée, on peut penser qu’il laisse la primauté à Pierre, mais nous en savons déjà assez pour montrer combien peu cette hypothèse est crédible. Il y a ici une autre hypothèse au comportement de Jean. Le Lévitique 21,1-5 nous dit que les prêtres ne doivent en aucun cas s’approcher d’un cadavre ; si l’auteur du 4eme Evangile ne rentre pas c’est donc qu’il est un prêtre, ce qui est tout à fait cohérent avec le fait qu’il soit de la famille du grand prêtre ou un proche de celui-ci.
Mais il y a encore plus fort : lors de Cène, le 4ème Evangile nous apprend que le disciple que Jésus aimait était couché sur le sein de Jésus (13,25) et que Pierre lui fit signe de demander à Jésus qui était celui qui allait les trahir. Comme nous l’explique Jean Colson[16], les diners de galas à l’époque se prennent semi-allongés sur des divans ; chacun se trouve donc la tête penchée vers son voisin de gauche. Ce qui implique que le disciple que Jésus aimait est à la droite de Jésus alors que Pierre est nettement plus loin.
Mais pourquoi Pierre, s’il est le chef des Douze, aurait-il laissé la place d’honneur à Jean ? Une explication d’une grande simplicité serait que Jean est l’hôte de ce diner et qu’à ce titre, la place d’honneur à coté du Maitre lui revient de droit.
Rappelez-vous le contexte : les autorités juives de l’époque, le Sanhédrin, cherchent à s’emparer de Jésus en tant que blasphémateur pour s’être mis à la place de Dieu. Le repas de Pâques se doit néanmoins d’être pris à Jérusalem. Les disciples sont donc légitimement inquiets lorsqu’ils lui posent la question « Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâques ?» (Matthieu 26,17). La réponse de Jésus est « Allez à la ville chez untel et vous lui direz le Maitre dit mon temps est proche, je ferai chez toi la Pâques avec mes disciples » (Matthieu 26,18) ce qui nous montre bien que Jésus a un contact extrêmement sûr à Jérusalem, un endroit où il peut diner « au cœur de l’ennemi » sans risques de se faire prendre. Peut-on sérieusement penser que cet « untel » n’assiste pas lui même au repas qui a lieu chez lui ? L’imagerie populaire nous a habitué depuis plus de 1000 ans à l’idée qu’il n’y avait que Jésus et les Douze lors de ce diner, puisque l’idée d’être 13 à table porte malheur dans la culture populaire. Néanmoins cela fait 2000 ans que l’Evangile de Marc nous dit explicitement le contraire : Jésus et les Douze n’étaient pas seuls ce soir là !!
Une simple déduction logique suffit à le prouver. En effet, Marc 14, 18-20 nous dit : « Pendant qu'ils étaient à table et qu'ils mangeaient, Jésus dit: Je vous le dis en vérité, l'un de vous, qui mange avec moi, me livrera.
Ils commencèrent à s'attrister, et à lui dire, l'un après l'autre: Est-ce moi?
Il leur répondit: C'est l'un des Douze, qui met avec moi la main dans le plat. »
Si Jésus était seul avec les Douze au moment où il prononce ses phrases, quand il dit que c’est l’un de ceux qui mangent avec lui qui le livrera, il n’aurait évidemment pas besoin de préciser que c’est l’un des Douze ! S’il donne cette précision, c’est bien qu’il n’est pas seul avec les Douze ce soir là[17]. On voit ici comment on peut être sûr de l’authenticité de certains propos de Jésus et récuser au nom de la raison et de la logique (pas de l’apologétique !) la ligne de pensée qui va de Renan à Corpus Christi en passant par Bultmann. En effet si les propos de Jésus avaient été inventés par un rédacteur « tardif », c’est à dire non témoin des faits, comme le pensent ces auteurs, jamais il n’aurait rajouté « C'est l'un des Douze » puisque il aurait été persuadé (comme tous les chrétiens par la suite) que Jésus dinait seul avec les Douze ce soir là. Nous pouvons ainsi capturer au passage des propos authentiques de Jésus comme dans l’échange avec Jean Baptiste qui nous a servi d’illustration de départ.
Un autre point essentiel, qui a été noté par de nombreux auteurs, c’est que pour le disciple que Jésus aimait, ce repas n’est pas le repas de Pâques. Pour lui, nous sommes la veille de Pâques, c’est à dire le 13 Nisan et ce calendrier est partagé par les grands prêtres, puisque le lendemain, 14 Nisan, au moment du jugement et de la condamnation de Jésus, ils refusent de rentrer dans la maison de Pilate pour ne pas devenir impurs, ce qui les empêcheraient de manger le repas de Pâques. Pilate est donc obligé de sortir vers eux puis de rentrer avec Jésus pour l’interroger et de ressortir parler aux envoyés du Sanhédrin (Jean 18,28-38, notons que ce jeu d’entrée-sortie n’est pas décrit dans les synoptiques). Pour les disciples il n’y a aucun doute, le repas a lieu le soir de Pâques, donc un 14 Nisan. Or, l’existence d’un décalage d’une journée entre les calendriers liturgiques employés au Temple de Jérusalem et ceux employés dans d’autres régions est attesté[18]. Donc, de la même façon que les orthodoxes et les catholiques ont la plupart du temps des dates différentes pour Pâques, Pâques ne tombe pas le même jour pour les douze disciples et pour le disciple que Jésus aimait. Encore un argument supplémentaire pour dire qu’il ne peut être l’un des Douze.
On peut reconstituer, certes de façon spéculative mais crédible, le déroulé des évènements de la façon suivante. Jésus a besoin d’un lieu sûr pour célébrer ce qui, pour les douze disciples galiléens est le repas de Pâques, il fait prévenir untel, personnalité qui reste anonyme dans l’Evangile de Marc et organise le repas chez lui. Cet untel est assis à sa droite et c’est lui qui informe Pierre de l’identité du traître. Puis, Jésus et les Douze se retirent pour passer la nuit en dehors de Jérusalem, dans le Jardin des Oliviers. Mais c’est là que le traître Judas les fait arrêter par la police du Grand Prêtre. Pierre dégainant son épée tranche l’oreille d’un serviteur du Grand Prêtre dont l’auteur du quatrième Evangile est le seul à nous donner le nom, Malchus, encore une preuve de sa proximité avec l’entourage du Grand Prêtre. Les apôtres s’enfuient alors, sauf Pierre, qui prenant son courage à deux mains retourne voir le propriétaire de la maison où ils viennent de célébrer leur repas de Pâques, connaissant la proximité de celui-ci avec le Grand prêtre honoraire Hanne. Ils se rendent alors tous les deux chez Hanne, où le disciple a suffisamment de poids pour faire rentrer Pierre, sans pouvoir toutefois le faire assister à l’interrogatoire auquel lui, le disciple que Jésus aimait, assiste. Sa présence est mentionnée par Jésus comme un signe de défi au Grand Prêtre, ce qui met fin à l’interrogatoire. Sur la Croix, alors que plusieurs de ses frères ou demi-frères sont encore vivants, dont le fameux Jacques le Juste dont nous reparlerons, c’est au disciple que Jésus aimait que Jésus confit sa mère (Jean 19, 26-27), probablement parce qu’il sait que chez lui elle sera plus en sécurité que chez n’importe qui d’autre. C’est toujours chez ce même disciple et dans cette même maison que Pierre passe la nuit, ce qui explique qu’il court en compagnie de ce disciple vers le tombeau vide le dimanche matin.
L’Evangile de Luc en 24,12 décrit la même course mais mentionne seulement Pierre ; comme dans les autres synoptiques, il n’y a pas la moindre trace du disciple que Jésus aimait. Mais ce qui nous intéresse dans ce passage, c’est qu’après avoir constaté que le tombeau était vide il est précisé « puis il s’en alla chez lui ». Quel peut bien être le « chez lui » que Pierre possède à Jérusalem, lui un simple pécheur de Galilée ? Très certainement il s’agit de la chambre haute où les apôtres se réuniront par la suite, mentionnée en 1,13 des Actes des Apôtres. Il est plus qu’improbable que ce groupe de galiléens aient deux retraites sûres à Jérusalem, donc l’endroit où Pierre a dormi la nuit de la Résurrection, l’endroit où était abrité la Vierge, mère de Jésus, l’endroit où les apôtres se retrouvent et l’endroit où ils ont pris le dernier repas avec Jésus, est très certainement une seule et même maison, dont il est assez probable que le propriétaire se trouvait à la droite de Jésus lors du fameux repas, et que ce soit pour les raisons que nous venons d’évoquer que Jésus sur la Croix a confié sa mère à ce même propriétaire.
Par ailleurs, pour des experts du Judaïsme du premier siècle, comme Jacqueline Genot-Bismuth[19] ou Martin Hengel[20] l’évangile de Jean fourmille de références aux traditions et à la liturgie juive du premier siècle, celle d’avant la destruction du Temple de Jérusalem en 70 par les Romains, ce qui montre qu’il ne peut avoir été écrit que par un témoin direct de cette époque et non pas par un quelconque disciple hellénisant d’un disciple de Jésus vivant quelque part en Asie Mineure.
En Jean 6,32, Jésus nous dit « En vérité en vérité je vous le dit, Moïse ne vous a pas donné le pain du Ciel mais mon Père vous donne le vrai pain du Ciel », allant encore plus loin en Jean 6,35 « Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura jamais faim ». Ceci apparaît comme une sorte de sermon probablement prononcé dans la synagogue de Capharnaüm, or le calendrier liturgique juif de cette époque, impliquait que l’on lisait dans l’un des Sabbats qui précédaient Pâques les chapitres 15 et 16 de l’Exode, qui parlent justement de la manne (c’est à dire le « pain ») descendue du ciel. Or l’auteur nous précise en 6,4 que la Pâques était proche[21].
Plus fort encore, Jésus, en Jean 7,37-38 nous dit ces phrases dont le sens ne peut être compris par un étranger à la liturgie juive. « Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus se tenant debout s’écria « si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein comme le dit l’Ecriture » ». Nous sommes le dernier jour de la fête de Sukot, or la veille, on lisait, toujours selon le calendrier liturgique de l’époque, Esaïe 12,3[22] : « Vous puiserez de l'eau avec joie aux sources du salut. »
A chaque fois que Jésus commente des passages de la liturgie l’auteur de l’Evangile nous donne le moment exact et cohérent où ces passages étaient lus à l’époque, nulle invention ou réécriture à posteriori de l’histoire.
Une foule d’autres petits détails confirme le caractère direct du témoignage comme cette fameuse piscine à cinq portiques, la piscine de Bethesda mentionnée en Jean 5,2. Comment une piscine rectangulaire pourrait avoir cinq portiques ? Une piscine normale a quatre portiques ; on s’est posé pendant presque deux mille ans des questions sur ce fameux cinquième portique, jusqu’à ce que des fouilles réalisées à la fin du XIX ème siècle, nous montrent que cette piscine possédait bel et bien un cinquième portique, qui passait au dessus de la piscine, et des portiques latéraux[23]. Encore une fois, seule une personne ayant vécu dans le Jérusalem d’avant la destruction de 70 pouvait le savoir.
Les exégètes modernes affirment que l’évangile de Jean a été écrit par un auteur de culture grec et qu’il est influencé par la pensée grecque. Il est écrit en koinè, une forme de grec commun qui à l’époque est un peu l’équivalent du « broken English » d’aujourd’hui pour la communication entre les peuples. Martin Hengel et Klaus Beyer nous montrent que ce grec a une consonance hébraïque. L’évangile utilise des termes et des noms de lieu en hébreux et/ou en araméen sans parfois les traduire, tels que Messiah, Rabbi, Cédron et Bethesda justement[24]. Pour Hengel la conclusion déjà ancienne d’Adolf Schlatter est toujours valable, l’évangile de Jean à été écrit par un juif de Palestine dont l’araméen est la langue maternelle : « les connections qui existent entre le grec de l’évangile de Jean et le langage palestinien démontre de manière certaine qu’il provient de Palestine.»[25]. Hengel souligne une autre piste : il y a des liens syntaxiques mais aussi théologiques entre l’évangile de Jean et les textes des manuscrits de la mer morte (et aussi entre l’Apocalypse et le fameux Rouleau de la guerre des fils de Lumière contre les fils de Ténèbres de Qumran qui décrit un combat eschatologique), or l’influence des esséniens sur Jean Baptiste est évidente (beaucoup moins sur Jésus contrairement à tout ce que l’on a écrit) et le « disciple que Jésus aimait » a été un disciple de Jean Baptiste[26] !
Mais toute cette affaire culmine avec le dernier chapitre de l’Evangile de Jean. Un petit groupe de disciple est revenu au bord de la mer de Tibériade, là où tout a commencé. En Jean 21,2 on nous précise la composition du groupe « Simon Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres disciples de Jésus, étaient ensemble ». Nous avons vu à quel point l’auteur du quatrième Evangile prend soin de préserver son anonymat. Or voici qu’il mentionne ici en toute lettre et pour la première fois, les fils de Zébédée ; c’est presqu’aussi clair que s’il avait écrit lui-même « je ne suis pas un des fils Zébédée »[27]. Dans le cas contraire, s’il avait enfin choisit de se dévoiler, on ne voit pas pourquoi il reprendrait en Jean 21,7 la fameuse formule « Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre: C'est le Seigneur! ». Pourquoi ne pas dire alors tout simplement « un des fils de Zébédée » ?
Mais surtout il y a la fin, Jean 21,20-22 :
« Pierre, s'étant retourné, vit venir après eux le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le souper, s'était penché sur la poitrine de Jésus, et avait dit: Seigneur, qui est celui qui te livre? »
En le voyant, Pierre dit à Jésus: « Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il? »
Jésus lui dit: « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi. ».
Il est clair que Pierre pose ici une question de juridiction ; sa juridiction à lui s’étend-t-elle aussi sur le disciple que Jésus aimait ou celui-ci est-il un cas à part ? La réponse de Jésus est très claire : c’est un cas à part. Elle peut s’interpréter ainsi ‘si je veux que la tradition qu’il représente persiste jusqu’à la fin du temps, ce n’est pas ton problème, toi fais ce que tu as à faire’, sous-entendu ‘organises les disciples et l’Eglise pour le grand public’[28].
La question de Pierre et la réponse de Jésus n’ont aucun sens s’il s’agit de Jean fils de Zébédée ; en effet celui-ci est le bras droit de Pierre et on ne voit pas pourquoi Pierre poserait une telle question, ni pourquoi Jésus ferait une telle réponse. La question et la réponse prennent tout leur sens si c’est la seule et unique fois après la résurrection de Jésus que les représentants des deux principaux groupes de disciples sont réunis. D’un coté, Pierre, Thomas, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, de l’autre, Nathanaël, Jean l’auteur du quatrième Evangile et un autre disciple inconnu.
La thèse présentée ici suppose que l’un des principaux disciples de Jésus ait existé sans que les évangiles synoptiques fassent la moindre allusion à lui. Cela pourrait être un défaut rédhibitoire de cette thèse s’il n’y avait pas toute l’histoire de Jacques le Juste. Les évangiles synoptiques mentionnent à deux ou trois reprises l’existence de frères de Jésus (Matthieu 12,46-50, Marc 3,31-35 Luc 8,19-21). Je n’entrerai pas ici dans le grand débat qui s’est développé pour savoir s’il s’agit de demi-frères de Jésus nés d’un premier mariage de Joseph, de cousins de Jésus auquel cas le mot « frère » aurait comme sens celui d’une famille élargie, ou d’enfants que Marie auraient eu elle-même avec Joseph après la naissance de Jésus. Notons simplement que Paul écrit en grec, dans l’épitre aux Galates 1,18-19 : « Trois ans plus tard, je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas, et je demeurai quinze jours chez lui. Mais je ne vis aucun autre des apôtres, si ce n'est Jacques, le frère du Seigneur » et que d’après les spécialistes il n’y pas d’ambiguïté sur le mot grec que Paul emploie : il signifie bien « frère »[29].
Toujours est-il que ce Jacques, à ne pas confondre avec Jacques fils de Zébédée et frère de Jean bien évidemment, ne joue strictement aucun rôle dans les évangiles synoptiques. On peut penser que c’est parce que sa conversion est tardive et qu’elle a peut-être même eu lieu après la résurrection de Jésus, puisque Jean 7,5 nous dit que les frères de Jésus ne croyaient pas en lui. Néanmoins il n’y a que trois mentions de ce Jacques dans les Actes des apôtres, et aucune concernant sa mort, or nous sommes informés par le fameux écrivain juif Flavius Joseph qu’en 62 le grand prêtre, un des fameux cinq fils de Hanne à avoir été grand prêtre, mit à mort Jacques, le frère du Christ et que ceci créa un tel scandale que le grand prêtre dû démissionner de son poste, ce qui n’est pas rien.
Les Actes des apôtres nous racontent au chapitre 15 un évènement absolument essentiel pour la jeune communauté chrétienne en train de naitre. Il s’agit de décider si, pour être chrétien, il faut d’abord être juif ou se convertir au Judaïsme, ou si l’on peut être chrétien sans être juif. Les Actes des apôtres, parce qu’ils ne peuvent pas cacher cette vérité, nous disent que c’est Jacques qui effectue la conclusion de ce qui est considéré comme le premier véritable concile de l’Eglise Chrétienne (Actes des Apôtres 15, 13-21). Cela montre bien la prééminence de Jacques le Juste à cette époque, prééminence qui est mentionnée par de nombreuses autres lettres ou textes d’un certain nombre de pères de l’Eglise, au point que l’on puisse voir en lui le « premier Pape »[30] ! Le fait que les Actes des Apôtres ne nous disent presque rien de celui qui semble avoir la primauté, y compris sur Pierre, à cette période (rappelons-nous comment en Galates 2,11-14 Paul reproche à Pierre de se comporter différemment avec les non-juifs quand il est seul et quand il est en présence de Jacques ou même de ses envoyés, ce qui montre bien que Pierre a peur de lui ou a des comptes à lui rendre, et que donc il ne saurait être le seul chef de l’Église à ce moment là), rend extrêmement crédible le fait que d’autres personnages importants pour les premiers temps du Christianisme puissent être passés sous silence. En effet il faut bien voir que les évangiles synoptiques représentent la tradition des Douze, qu’ils défendent en quelque sorte leur cause, en en faisant, avec Paul, dont il ne peuvent bien évidemment pas passer sous silence les activités mais qui d’une façon ou d’une autre fait partie de leur « camp » (Paul se fait « taper sur les doigts » par Jacques et ses disciples pour son comportement pas assez juif comme le détaille Actes 21,18-26) les seuls véritables représentants de Jésus.
Les questions de prééminence sont très fortes à l’époque comme le montre le premier épitre aux Corinthiens 1,12 où Paul nous dit « Je veux dire que chacun de vous parlent ainsi, moi je suis de Paul, moi d’Apollos, moi de Pierre et moi du Christ » ce qui prouve que d’importants problèmes de prééminence se posaient dans ces temps là. Or le Logion 12 de l’Evangile de Thomas contient cette affirmation étrange, quand les disciples demandent au Christ vers qui ils devront se tourner lorsqu’il ne sera plus là, il répond « Vous irez vers Jacques le Juste, ce qui relève du ciel et de la terre lui revient ». On peut être à peu près sûr que Jésus n’a pas prononcé de tels propos mais que celui qui les a inséré dans ce texte était un disciple de Jacques le Juste. Or l’église de Jacques, qui était composée de juifs observant strictement les règles juives, est en grande partie démantelée en 70 après le destruction du temple et disparaît définitivement en 132 après la seconde révolte juive, quand les juifs sont dispersés hors de la Judée. Cela nous indique au passage que l’Evangile de Thomas a été écrit avant 132 et peut-être même avant 70 car quel intérêt il y aurait-il à faire de la « publicité » pour une structure qui n’existe plus ?
Ces questions de prééminence éclairent également la fameuse question de Pierre à Jésus en Jean 21,20 et sa réponse. Si Jean auteur du quatrième Evangile était un proche du grand prêtre et la figure marquante d’un autre groupe de disciples de Jésus, les évangiles synoptiques ont donc une double raison de ne pas parler de lui : premièrement pour sa sécurité, il ne doit être fait aucune allusion à son identité exacte, et deuxièmement parce qu’encore une fois les synoptiques et les Actes des apôtres ont pour but d’affirmer la prééminence des Douze et de Paul dans le christianisme naissant.
Une érudite juive comme Jacqueline Genot-Bismuth nous apprend que l’expression « le disciple que Jésus aimait » est tout à fait classique dans le judaïsme. En effet les rabbins de l’époque choisissaient un disciple brillant, une sorte de fils spirituel, parmi leurs disciples. L’auteur du quatrième évangile ne ferait que simplement dire la vérité. Parce que son niveau théologique et sa culture lui permettaient une toute autre compréhension du message de Jésus que les autres disciples, spécialement les Douze, il était le fils spirituel de Jésus, ce que Jésus confirme sur la Croix quand il lui confit sa mère. Pendant toute sa présence à Jérusalem, il était vital qu’il cache son identité et qu’il en fasse le moins possible publiquement pour pouvoir continuer à protéger de l’intérieur du Sanhédrin et de la famille du grand prêtre, les disciples de Jésus. Les Actes des Apôtres en 12,7-9 font peut-être indirectement écho à ses interventions quand on voit la libération miraculeuse de Pierre par un « ange » de la prison où il avait été mis (notons qu’en Actes 12,17 Pierre demande de prévenir de sa libération «Jacques et les frères », Jacques est le seul cité ce qui renforce la thèse de la prééminence de Jacques suer la première communauté chrétienne.)
La mort de Jacques le Juste, tué par quelqu’un qui était peut-être le propre frère de l’auteur du quatrième Evangile, marque sa rupture définitive avec le Judaïsme. Profondément déçu par ce qui était sans doute sa propre famille, Jean va alors se radicaliser, parlant à plusieurs reprises des « judéens », et pas seulement des pharisiens ou des membres du Sanhédrin comme étant coupables du rejet de Jésus. Apres son exil en Asie Mineure et après la destruction du Temple, la situation s’inverse totalement. Avoir été proche ou un membre de la famille de ceux qui sont la cause de la mort de Jésus et de son frère devient un handicap extrêmement important. Qui croirait qu’un homme ayant une telle filiation puisse être non seulement un disciple de Jésus mais même son disciple préféré ? C’est pourquoi, par une extraordinaire ironie de l’histoire, l’auteur du quatrième évangile ne pouvait révéler son identité, ni quand il vivait à Jérusalem ni quand il vivait en exil dans les premières communautés chrétiennes, et cela pour des raisons diamétralement opposées.
Il nous reste néanmoins encore deux questions à traiter : il y a-t-il, parmi les pères de l’Eglise, ceux qui ont connu la deuxième ou la troisième génération d’apôtres de Jésus, des témoignages infirmant notre thèse ? Et qu’est devenu l’autre Jean, le fils de Zébédée, s’il n’est pas mort à Ephèse sous le règne de Trajan ?
Tous les spécialistes s’accordent pour dire que le témoignage le plus important au 2ème siècle est celui de Saint Irénée, né vers 130 à Smyrne en Asie Mineure et mort en 202 à Lyon. Il est l’auteur d’un ouvrage majeur en cinq volumes « Contre les hérésies » qui est parvenu jusqu’à nous au complet (notons au passage le sous-titre « Réfutation de la prétendue gnose au nom menteur », ce qui montre bien que l’auteur a en tête de dénoncer un certain nombre de courants gnostiques qui usurpent le terme de « gnose », pas le concept de gnose lui-même qui signifie « connaissance » et qui est utilisée pas moins de 49 fois dans les évangiles et dans les épitres de Paul[31]). Dans cet ouvrage, comme dans une lettre à un de ses anciens amis d’enfance, Florinus, un prêtre ayant basculé du coté des gnostiques valentiniens, Irénée nous dit avoir, quand il était très jeune, connu Polycarpe, qui fut lui même le disciple de Jean, auteur du 4ème Evangile, celui qui, nous précise Irénée à de nombreuses reprises, a mis sa tête sur la poitrine de Jésus lors du dernier repas.
Nous avons donc effectué une analyse complète du grand ouvrage de Saint Irénée ; le nom de Jean revient au total 108 fois dans les cinq tomes[32]. A de nombreuses reprises, il ne précise pas, par exemple, s’il parle de Jean Baptiste ou de Jean, auteur du 4ème Evangile, mais le contexte permet toujours de trancher. Il est néanmoins important de réaliser que l’absence de nom de famille à cette époque permet potentiellement de faire de nombreuses confusions. Ces confusions sont d’autant plus nombreuses que les exégètes chrétiens des premiers siècles avaient tendances a fusionner deux personnages portant le même nom. Richard Bauckhman en donne de nombreux exemples[33].
Le bilan de notre analyse est le suivant :
- 74 fois Saint Irénée fait référence à Jean, auteur du 4ème Evangile, disciple que Jésus aimait, apôtre qui « mis sa tête sur le sein du Seigneur », auteur de l’Apocalypse (pour lui il est absolument clair que l’auteur de l’Evangile et que l’auteur de l’Apocalypse ainsi que des épitres forment une seule et même personne)[34];
- 27 fois il désigne Jean le Baptiste ;
- 5 fois il désigne Jean fils de Zébédée, il ne lui accorde jamais ce titre, mais il s’agit de passages où il est présenté comme étant en compagnie de Pierre devant le Sanhédrin ou assistant à la transfiguration, il s’agit donc clairement du fils de Zébédée ;
- 1 fois il mentionne les fils de Zébédée, et
- 1 fois il mentionne un certain Jean, compagnon de Paul, appelé Marc pour éviter les confusions.
Pas une seule fois il ne nous a paru qu’il existait une ambiguïté concernant le « Jean » ainsi désigné ; le contexte permet toujours de trancher, même quand l’auteur écrit « Jean » sans autres précisions.
Le résultat le plus important est que pas une seule fois, lors des 74 fois où il mentionne Jean, l’Apôtre, l’auteur du 4ème Evangile, il ne nous dit que c’est l’un des Douze, et encore moins un des fils de Zébédée. Une analyse du contexte de ces 74 occurrences ne donne pas le moindre indice selon lequel Saint Irénée, sans le dire explicitement, assimile l’auteur du 4ème Evangile à Jean, un des douze apôtres. De même, dans les cinq fois où il parle clairement de Jean, fils de Zébédée, un des douze apôtres, jamais ne nous dit-il directement ou indirectement, que ce Jean est le même que celui dont il parle 74 fois par ailleurs et qui est l’auteur de l’évangile.
Ainsi, tous ceux qui affirment que Saint Irénée établit l’équivalence entre Jean fils de Zébédée et l’auteur du 4ème Evangile le font sans le moindre fondement. Plus encore, le fait que Saint Irénée mentionne 74 fois l’auteur du 4ème Evangile en associant son nom à de très nombreux qualificatifs que nous avons cité ci-dessus (disciple du Seigneur, disciple que Jésus aimait, celui dont la tête reposa sur le sein du Seigneur, etc.) sans jamais dire qu’il s’agit de l’un des douze, nous paraît apporter non pas une preuve, mais un argument extrêmement fort en faveur de l’hypothèse que pour Saint Irénée, l’auteur du 4ème Evangile n’était en aucune façon l’un des Douze (auxquels Saint Irénée fait référence des dizaines de fois au cours de son œuvre). Certes, me direz-vous, il l’appelle parfois « l’Apôtre », mais cela ne prouve pas plus que Jean soit l’un des douze que … Paul en soit un. Personne n’a jamais prétendu que Paul fut l’un des Douze, et pourtant Saint Irénée l’appelle en permanence « l’Apôtre ». On pourrait certes arguer que le cas de Paul est spécial vu son importance pour le Christianisme naissant, et qu’aujourd’hui encore on lui décerne le titre d’apôtre. Mais justement, si le disciple « favori » de Jésus n’était pas l’un des Douze, et s’il a écrit un témoignage d’une importance exceptionnelle sur la vie de Jésus et son enseignement, ne mériterait-il pas encore bien plus que Paul d’être appelé apôtre ? Ainsi, quand Saint Irénée nous dit par exemple que « l’église d'Ephèse, fondée par Paul, et où Jean demeurera jusqu’à l’époque de Trajan, est aussi un témoin véritable de la tradition des apôtres [35]», il n’y a ici aucune preuve qu’il mentionne les Douze, puisque justement Paul lui même nous dit que pendant les dix-sept premières années de son activité il n’a rencontré aucun des Douze à l’exception de Pierre durant un bref séjour à Jérusalem, donc il est peu lié aux Douze. Par ailleurs, le mot « apôtre » était utilisé de façon très générale au 2ème siècle, et si Saint Irénée l’emploie de façon plus restrictive que d’autres auteurs tels que Clément d’Alexandrie, il l’utilise néanmoins pour designer les 70 disciples que Jésus sélectionne et envoie en Luc 10,1-18.
En conclusion de ce témoignage essentiel, nous voyons qu’il n’y a absolument aucun indice, même ténu, selon lequel Saint Irénée identifierait Jean fils de Zébédée avec le Jean dont il parle tant de fois comme l’auteur du 4ème Evangile et de l’Apocalypse et qu’il existe des raisons très fortes de penser que Saint Irénée n’a jamais envisagé une telle confusion.
Par ailleurs, Saint Irénée nous donne une autre piste, en nous parlant non seulement de Polycarpe mais aussi de Papias, comme disciples directs de Jean, auteur du 4ème Evangile. Polycarpe est donc un témoin essentiel puisqu’il ferait partie de la deuxième génération des disciples, celle qui a été au contact des apôtres. Saint Irénée nous dit que Jean auteur du 4ème Evangile est mort à Ephèse sous le règne de Trajan, règne qui a commencé en 98. Si l’on suppose que Jean est mort autour de l’an 100 et qu’il avait aux alentours de 20 ans quand il rencontra Jésus, cela le fait mourir aux alentours de 85 à 90 ans, ce qui certes rare mais crédible pour l’époque. Polycarpe a vécu plus de 80 ans et il est mort non de vieillesse mais brulé vif en 155. Ceux qui ont connu Polycarpe, comme Saint Irénée, mort en 202, font donc partie de la troisième génération d’apôtres. Nous voyons ainsi que grâce à la longévité exceptionnelle de certains des disciples de Jésus, la troisième génération nous conduit à l’orée du troisième siècle, ce qui montre à quel point tous les propos sur la non-existence de Jésus sont profondément irrationnels.
Malheureusement il ne reste de Polycarpe qu’une seule et unique lettre qui ne contient rien qui concerne le sujet que nous traitons ici. Néanmoins, nous savons que juste avant sa mort Polycarpe fit le voyage à Rome pour rencontrer le Pape Anicet pour traiter d’une question qui commençait à envenimer les relations entre les églises d’Orient et d’Occident. A Rome, selon les instructions du Pape, Pâques était fêté le dimanche. En Orient, Pâques était fêté le 14 Nisan du calendrier juif, quelque soit le jour de la semaine où tombait cette date puisque justement Jésus était mort un 14 Nisan. Notons ici au passage que les églises d’Orient suivent le calendrier de l’Evangile de Jean et non pas celui des synoptiques ! Puisque pour l’Evangile de Jean, Jésus est mort le 14 Nisan après midi, la Cène a eu lieu le 13 Nisan au soir. C’est donc bien que toutes ces églises étaient sous l’influence de la tradition johannique et non des synoptiques.
Heureusement, nous avons plus de chance avec Papias ; il a écrit une œuvre en cinq volumes « Les paroles du Seigneur » qui est malheureusement perdue en grande partie (on peut penser que l’histoire de l’Eglise serait quelque peu différente si ce texte avait survécu) mais heureusement il nous restent quelques extraits essentiels pour la question que nous traitons. « Si quelque part venait quelqu'un qui avait été dans la compagnie des presbytres, je m'informais des paroles des presbytres : ce qu'ont dit André ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur ; et ce que disent Aristion et le presbytre Jean, disciples du Seigneur. Je ne pensais pas que les choses qui proviennent des livres me fussent aussi utiles que ce qui vient d'une parole vivante et durable »[36] . On voit ici que Papias parle clairement d’un premier groupe qui est celui des douze dont il ne cite pas moins de sept noms dont Jean et Jacques qui désigne ici bien sûr les fils de Zébédée. Le point capital est qu’il en parle au passé, il est trop jeune pour les avoir connu (sa date de naissance n’est pas connue avec exactitude mais elle est probablement dans les années 70). Mais il parle ensuite de deux autres disciples, Aristion et le presbytre (ce qui veut dire l’ancien) Jean. Or, il parle de ceux là au présent indiquant ainsi clairement qu’il s’agit de contemporains. Il n’a donc pas connu Jean fils de Zébédée mais il a connu un Jean dit l’Ancien. Or, dans les deuxième et troisième épitres attribués à Jean, celui-ci se présente justement sous le terme de l’Ancien.
Mais voilà que Saint Irénée nous dit que Papias a connu Jean, l’auteur du 4ème Evangile, un Jean qui était présent lors du dernier repas du Seigneur avec ses apôtres[37]. Ce qui implique que Jean l’Ancien dont parle Papias, celui qui était son contemporain, ne peut en aucune façon être un disciple de Jean fils de Zébédée qui aurait rédigé son Evangile en reprenant les notes de son maitre[38], mais qu’il s’agit bien du disciple que Jésus aimait, son disciple favori qui vécu à ses cotés de très nombreux moments dont les Douze n’avaient tout simplement pas connaissance, comme le montre son évangile. Certes, Papias ne nous dit pas ici qu’il a rencontré Jean l’Ancien, simplement qu’il s’enquérait de ce que disait Jean, l’emploi du présent montrant que Jean était encore vivant à son époque. Mais rappelez-vous que nous n’avons que des bribes de l’œuvre de Papias, il est fort probable que si nous l’avions en intégralité, nous aurions appris bien d’autres choses sur ce Jean et ses rapports avec Papias. Ce qui nous importe ici c’est que Papias parle de Jean fils de Zébédée au passé, ce qui signifie que celui-ci est mort avant que Papias commence son enquête sur les propos des disciples de Jésus, or Papias a vécu pas très loin de la région d’Ephèse à la période où Jean est censé y avoir terminé son existence. Le rapprochement des textes d’Irénée et de Papias prouve donc de manière à priori définitive que l’auteur du 4ème Evangile, présent lors du dernier repas des apôtres avec Jésus n’est pas Jean fils de Zébédée mais un autre Jean ayant vécu suffisamment longtemps pour être contemporain de Papias. Notons également au passage que les spécialistes de l’analyse de textes sont en majorité d’accord pour affirmer que Papias dans la citation ci dessus, met exactement sur le même plan les sept apôtres, membres des douze qu’il cite et les deux autres dont le second Jean quand il les qualifie de ‘disciples du Seigneur’[39]. En d’autres termes cela signifierait qu’il affirme bien que tous les neufs ont personnellement connu Jésus puisqu’il les met sur le même plan. Bien entendu, il n’y a pas de certitudes sur ce point mais cela est un argument supplémentaire pour renforcer la conclusion à laquelle nous venons d’arriver[40].
Pour infirmer cette conclusion, il faudrait non seulement postuler qu’Irénée se trompe lorsqu’il nous dit que Papias a connu l’auteur du 4ème Evangile, disciple que Jésus aimait, mais que Saint Irénée et avec lui toute la tradition des Pères de l’Eglise du 2ème, 3ème, et 4ème siècle se trompent lorsqu’ils nous disent que Jean, auteur du 4ème Evangile, a vécu jusqu’à un âge avancé à Ephèse où il composa son évangile dans ses vieux jours, puisque Papias, qui était justement dans la région et nous dit avoir mené une enquête sur tous les témoins directs de la vie de Jésus, nous dit clairement que Jean fils de Zébédée était décédé à cette même période où Jean, l’auteur du 4ème Evangile écrivait celui-ci à Ephèse, non pas encore une fois selon Saint Irénée mais selon toute la tradition des pères de l’Eglise.
Néanmoins, il s’agit d’une question si disputée et si importante que nous ne pouvons pas ici nous contenter de prouver cette thèse, nous devons la « sur-prouver ».
A l’époque de Saint Irénée la querelle de Pâques, qui avait commencé avec Polycarpe et le Pape Anicet vers 150 commence à prendre une proportion dramatique. Nous sommes maintenant dans les années 190 et le Pape Victor Ier veut régler une fois pour toute la question de la date de Pâques. N’acceptant pas le refus des églises d’Asie mineure de s’aligner sur la pratique romaine qui est de célébrer cette fête un dimanche, il envisage purement et simplement de les excommunier (déjà pourrait-on dire puisque nous sommes près de 900 ans avant le grand schisme qui séparera catholiques et orthodoxes !). C’est justement sous l’influence de Saint Irénée, né en Asie, que cette excommunication n’aura pas lieu et c’est très progressivement que les églises d’Asie en viendront à s’aligner sur la célébration de Pâques un dimanche et non pas le 14 Nisan du calendrier juif.
Mais ce qui importe pour nous c’est que Polycrate, contemporain de Saint Irénée, donc membre de la troisième génération d’apôtres (à ne pas confondre avec Polycarpe, évêque de Smyrne dont nous venons de parler), occupe le siège épiscopal qui fut celui de Saint Jean lui même puisqu’il est évêque d’Ephèse. C’est peut être cela qui lui confère un prestige particulier au point qu’une réunion d’évêques de toutes les églises d’Asie, de Jérusalem à la région de ce qui n’est pas encore Constantinople, le charge de répondre au Pape Victor. Cette lettre est absolument essentielle car l’Eglise est véritablement au bord de la rupture ; le Pape Victor fait valoir la succession apostolique, il est le successeur de Pierre, Pierre qui, comme Paul, est mort à Rome. Mais Polycrate ne se laisse nullement impressionner. Il s’adresse tout d’abord non pas au Pape mais aux « frères de Rome » comme si le Pape n’était que l’un d’entre eux. Il commence par écrire « Pour moi donc, frères, j'ai soixante-cinq ans dans le Seigneur, j'ai été en relation avec les frères du monde entier, j'ai parcouru toute la Sainte Écriture ; je ne suis pas effrayé par ceux qui cherchent à m'émouvoir, car de plus grands que moi ont dit : Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » Puis il ajoute «qu’en Asie en effet (il veut dire ‘aussi’) se sont éteintes de grandes lumières ». Il cite tout d’abord Philippe, l’un des Douze, puis il rajoute « c’est encore aussi Jean qui a reposé contre la poitrine du Sauveur, qui fut prêtre et qui a porté le Pétalon, témoin et disciple, il s’est endormi à Ephèse [41]».
On voit bien ici qu’il s’agit d’une lutte au sommet, chacun veut présenter ses « lettres de créances ». Pour contrebalancer le poids que donne à l’Evêque de Rome Pierre et Paul, Polycrate cite en premier Philippe, un des Douze. Puis, seulement après, il cite Jean, dont il se garde bien de dire qu’il était l’un des Douze, par contre il en rajoute autant qu’il peut pour montrer le poids de ce Jean, ‘témoin et disciple qui a reposé sur la poitrine du Seigneur’. Il nous donne après une information essentielle ; ce Jean a été un prêtre. Cela ne peut bien sûr que designer le titre de prêtre chez les juifs. Jean ayant été bien plus qu’un prêtre dans l’Eglise chrétienne. Toujours voulant magnifier ce Jean, il nous dit qu’il a porté le Pétalon, c’est à dire la lame d’or que seul portait le grand prêtre dans le temple de Jérusalem. Sur la base de ce texte, des auteurs comme Claude Tresmontant[42] sont allés jusqu’à affirmer que Jean auteur du 4ème Evangile avait été grand prêtre du Judaïsme. Cela paraît doublement impossible car tout d’abord aucun des grands prêtres des années 30 à 70 ne s’appelle Jean (il y en a un qui s’appelle Jonathan et certains ont essayé de démontrer que les noms de Jean et Jonathan auraient pu être confondus) mais surtout il est absolument inenvisageable qu’un grand prêtre puisse être un des chefs de la communauté chrétienne persécutée par des institutions que dirigeait … le grand prêtre en question.
Il y a deux façons d’interpréter cette partie de phrase, soit il s’agit de dire que Jean fut l’équivalent d’un grand prêtre pour les chrétiens d’Asie, c’est à dire le chef de la communauté, comme tendrait à le montrer l’existence de ses épitres écrites à différentes communautés de la région, soit Polycrate fait tout simplement une erreur car, comme nous l’avons dit, pas moins de cinq fils de Hanne ont été grand prêtre, et si Jean se trouvait être un prêtre juif et un fils de Hanne, frère de cinq grands prêtres, il serait assez logique que cette confusion ait pu être faite par quelqu’un qui écrit plus d’un siècle et demi après la mort de Jésus[43].
Toujours en est-il que le point clé est le suivant : dans cette lettre Polycrate veut montrer que des autorités aussi prestigieuses que celles auxquelles se réfère le Pape (et que sa famille a personnellement connue : les quatre précédents évêques d’Ephèse sont de sa famille) ont toutes célébrées Pâques en fonction du 14 Nisan quelque soit ce jour dans la semaine et non le dimanche. Si Jean avait été un des douze apôtres, il est simplement impossible d’imaginer qu’il ne l’ait pas mentionné ici pour renforcer son argumentaire. Le fait qu’il mentionne en premier Philippe, l’un des Douze, et en second Jean, sans mentionner qu’il est l’un des Douze mais en essayant de lui donner le plus de prestige possible, est une preuve supplémentaire que Jean auteur du 4ème Evangile mort à Ephèse, n’est pas fils de Zébédée, un des douze apôtres.
De plus, le Canon de Muratori, texte latin du 7ème ou 8ème siècle dont on pense qu’il est la traduction d’un original grec datant justement de l’époque de Saint Irénée et de Polycrate, nous parle dans le même passage d’André comme étant un apôtre et de l’auteur du 4ème Evangile comme étant un disciple ; il précise néanmoins qu’il s’agit d’un témoin visuel et auditif de Jésus, mais il ne lui discerne pas le titre d’apôtre, introduisant exactement comme Polycrate une différence entre l’un des Douze ici cité, André, et l’auteur du 4ème Evangile. Il est vrai que toujours à la même époque, Clément d’Alexandrie parle de Jean comme d’un apôtre, sauf que dans ses écrits, il discerne également le titre d’apôtre à … un Pape de son époque ! Nous voyons encore une fois ici que le titre d’apôtre au II ème siècle peut être employé de façon très restrictive comme dans le Canon de Muratori où on semble le réserver aux Douze, puisqu’on ne décerne pas à Jean auteur de l’évangile ce qualificatif, ou de façon très large (Clément d’Alexandrie), voir de façon intermédiaire comme chez Saint Irénée (uniquement pour Paul, Jean auteur du 4ème Evangile et les soixante-dix en plus des Douze).
Toujours est-il qu’absolument aucune source[44] du 2ème siècle, ni à ma connaissance de la première moitié du 3ème siècle, n’affirme ni même ne suggère l’identité entre Jean fils de Zébédée et Jean auteur du 4ème Evangile. A l’inverse, en rapprochant les textes de Saint Irénée et de Papias, et en suivant Polycrate et le Canon de Muratori, nous voyons de la façon la plus claire que Jean auteur du 4ème Evangile n’est pas un des fils de Zébédée ni l’un des Douze mais que ce fut bien un compagnon extrêmement proche de Jésus, présent lors de la Cène.
Mais alors où et quand va avoir lieu la confusion entre Jean fils de Zébédée et Jean l’Ancien, le disciple que Jésus aimait, celui qu’a connu Papias et dont Irénée nous dit qu’il est l’auteur de l’Evangile ?
Cette confusion va s’introduire dans l’Eglise avec Eusèbe de Césarée et sa monumentale «Histoire Ecclésiastique» écrite aux alentours de 325. Cette grande œuvre en dix tomes est la première véritable histoire de l’Eglise. Elle raconte les trois premiers siècles de celle-ci depuis la mort et la résurrection de Jésus. Ce travail est énorme et très intéressant mais néanmoins contradictoire car l’auteur utilise de très nombreuses sources sans toujours chercher à les croiser. Notons au passage que, s’il fut très proche de l’Empereur Constantin, ce fut un arien pendant la plus grande partie de sa vie. Il fut de ce fait, excommunié pour arianisme avant de faire amende honorable, de voir son excommunication levée, de participer au Concile de Nicée et d’accepter le credo de celui-ci selon lequel Dieu et Jésus partagent la même essence. Néanmoins, l’interprétant à sa manière, il continua à défendre l’idée arienne d’une subordination du Fils au Père, organisant avant comme après Nicée des conciles locaux où il fait excommunier des évêques anti-ariens et où il promeut des évêques ariens ; on peut donc dire qu’il a un drôle de profil pour un Père de l’Eglise et un grand défenseur de ce qui est aujourd’hui l’orthodoxie chrétienne.
Sur la question qui nous importe, il a bien noté les propos de Papias (c’est d’ailleurs grâce à lui que nous les connaissons) et il les commente ainsi : « Il est convenable (cela veut dire important) de remarquer que Papias compte deux fois le nom de Jean. Il signale le premier des deux avec Pierre et Jacques et Matthieu et les autres apôtres et il indique clairement l’évangéliste. Pour l’autre Jean, après avoir coupé son énumération, il le place avec d’autres, en dehors du nombre des apôtres : il le fait précéder d’Aristion et le désigne clairement comme un presbytre. Ainsi par ses paroles même est montrée la vérité de l’opinion selon laquelle il y a à Ephèse deux tombeaux qui maintenant encore sont dit ceux de Jean. Il est nécessaire de faire attention à cela car il est vraisemblable que c’est le second Jean si on ne veut pas que ce soit le premier, qui a contemplé la révélation sous le nom de Jean.»[45]
Mais d’où tient-il que Papias indique clairement l’évangéliste quand il cite Jean dans la liste des apôtres, ce disciple du Seigneur qu’il n’a pas rencontré ? En fait, Eusèbe de Césarée a oublié de recroiser l’information donnée par Papias avec celle donnée par Saint Irénée dont il avait également l’ouvrage puisqu’il le cite, et qui nous disait que le Jean qui était vivant à l’époque de Papias était l’auteur du 4ème Evangile. C’est cette erreur assez grossière qui est à la base de toutes les confusions futures. Le travail historique d’Eusèbe de Césarée étant monumental et le premier de ce genre, il influencera par la suite la plupart de ceux qui se pencheront sur la question. Ainsi, à la fin du 4ème siècle voit-on Saint Jean Chrysostome faire un magnifique sermon sur le fait qu’un homme aussi peu instruit et illettré comme l’était Jean fils de Zébédée ait pu produire un évangile aussi profond, était bien la preuve de l’influence extraordinaire de l’Esprit Saint sur ceux qui comme les proches de Jésus l’avait reçu ! Origène lui aussi nous dit que l’Evangile de Jean est absolument crucial, qu’il est le premier des Evangiles, et le plus important, mais il ne nous dit pas du tout qu’il a été écrit par un homme inculte, ni qu’il a été écrit par l’un des Douze ou par le fils de Zébédée. C’est là qu’on voit la différence puisqu’Origène est mort au milieu du 3ème siècle.
Mais comment Eusèbe de Césarée en est-il arrivé à faire aussi facilement cette confusion ? C’est parce qu’il a parmi ses sources Denys d’Alexandrie. Or, celui-ci écrit vers 255 une lettre à l’évêque Nepos où il explique qu’il faut distinguer le Jean de l’Evangile et le Jean auteur de l’Apocalypse. Eusèbe de Césarée le cite, écrivant : «Je pense que l’auteur de l’Apocalypse est un autre de ceux qui étaient en Asie puisqu’on dit qu’il y a à Ephèse deux tombeaux et que l’un et l’autre sont dits de Jean»[46]. Denys d’Alexandrie qui écrit plus d’un siècle et demi après la mort de Jean et qui n’est jamais allé à Ephèse et n’a jamais vu ces deux tombeaux, parle bien «d’on-dit » ; il s’agit simplement d’une interprétation qu’il a du entendre à propos du fameux texte de Papias. Or, l’analyse de «l’Histoire Ecclésiastique» d’Eusèbe de Césarée montre que celui-ci a très peu de considération pour Papias et en a beaucoup pour Denys d’Alexandrie. C’est pourquoi il choisit d’office la version de Denys, sans réfléchir plus en avant à ce que signifie le texte de Papias. Personne, parmi ceux que nous avons cités, qui comme Polycarpe, Polycrate, Saint Irénée ou Papias sont nés en Asie Mineure plus ou moins près de la région d’Ephèse, ne mentionne l’existence de deux Jean à Ephèse ni de deux tombeaux attribués à deux Jean différents. Il ne faut pas confondre l’existence de deux Jean en général (Jean fils de Zébédée et Jean l’Ancien) avec l’existence de ces deux Jean à Ephèse qui n’est attestée par aucun témoin direct. C’est également de là que viendra la thèse selon laquelle l’Evangile de Jean a été écrit par un collaborateur ou un disciple de l’Evangéliste, ainsi que ses épitres où il se qualifie lui-même d’Ancien, alors que pour quelqu’un de la troisième génération d’apôtres comme Saint Irénée, il ne fait aucun doute que l’auteur de l’Evangile est également l’auteur de l’Apocalypse (la Révélation dont parle Eusèbe de Césarée).
Il est fascinant, mais également assez déprimant, de voir comment la confusion initiée par Denys d'Alexandrie au milieu du troisième siècle, puis largement diffusée par Eusèbe de Césarée dans la première moitié du quatrième siècle se retrouve aujourd'hui aux niveaux les plus divers de l'Église Catholique.
Ainsi le Pape Benoît XVI n'hésite pas à écrire : « depuis Irénée de Lyon la tradition de l'église considère unanimement Jean le fils de Zébédée comme le disciple bien-aimé et comme l'auteur de l'Évangile. Cela est conforme aux éléments d'identification contenus dans l'Évangile qui de toute façon nous renvoie
à un apôtre compagnon de Jésus »[47]. Notre analyse a montré à quel point cette affirmation n'est pas fondée, puisque cette unanimité s'est progressivement formée plus d'un siècle et demie après les écrits de Saint-Irénée.
Le Pape a bien conscience d’un problème. Comment un simple pécheur de Galilée peut-il être lié au grand prêtre de Jérusalem au point d'avoir le pouvoir de faire rentrer Pierre chez lui (Jean 18,15)?
Voilà la solution qu'il propose en se basant sur un article en allemand d'un exégète français Henri Cazelles, dans la revue Communio[48]. Les prêtres du temple de Jérusalem n'étaient pas toujours prêtre à temps complet. Ils pouvaient pour gagner leur vie avoir d’autres activités pendant une partie de l'année. Il suffit donc de postuler que Zébédée était un prêtre du temple de Jérusalem, qui était une partie de l'année patron pêcheur sur le lac de Galilée. Ainsi son fils Jean pouvait bel et bien être un prêtre (ce qui explique son comportement à l'arrivée au tombeau), proche du Grand Prêtre, et suffisamment instruit pour écrire un Évangile de ce niveau. Plus encore, on peut spéculer sur le fait que Zébédée avait un pied-à-terre à Jérusalem, et que c'est donc chez lui qu'a eu lieu la Cène. De ce fait et fort logiquement, Jean fils de Zébédée est assis à la droite de Jésus puisqu'il est chez lui. Ainsi avec une telle solution tout est résolu ! L'auteur du quatrième évangile est bien Jean, fils de Zébédée. Il est un prêtre, bénéficie de la maison de son père à Jérusalem, et toutes les anomalies que nous avons mentionnées sont expliquées.
Si cette solution peut paraître prometteuse à première vue, elle ne résiste pas plus d'une minute à l'analyse, au point que l'on peut s'étonner que des personnalités de haut niveau puisse y faire référence. En effet, l'évangile de Luc nous dit explicitement que c'est Pierre et Jean qui furent envoyés par Jésus pour trouver la fameuse salle où va se dérouler la Cène :
Le jour des pains sans levain, où l'on devait immoler la Pâque, arriva, et Jésus envoya Pierre et Jean, en disant: Allez nous préparer la Pâque, afin que nous la mangions.
Ils lui dirent: Où veux-tu que nous la préparions?
Il leur répondit: Voici, quand vous serez entrés dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau; suivez-le dans la maison où il entrera, et vous direz au maître de la maison: Le maître te dit: Où est le lieu où je mangerai la Pâque avec mes disciples? Et il vous montrera une grande chambre haute, meublée: c'est là que vous préparerez la Pâque. (Luc 22, 7-12)
Pourquoi Jean aurait-il besoin de suivre une personne et pourquoi Jésus lui décrit-il la pièce en question s'il s'agissait de trouver le moyen de se rendre chez lui ? Par ailleurs, si Jacques et son frère Jean étaient des prêtres, il paraît simplement incroyable que rien dans les Actes des apôtres, ni dans les synoptiques ne mentionne cela. Une telle appartenance n’aurait-elle pas été susceptible de soutenir le prestige des Douze? Mais le plus important, c'est que lors de la parution de Pierre et de Jean devant le Sanhédrin on précise bien que les personnalités juives sont étonnées de la qualité du discours tenu des « hommes du peuple sans instruction » (Actes 4,13). Jamais une telle réaction n'aurait été possible si un des deux était un prêtre et un proche du Grand Prêtre comme le développe l'hypothèse d'Henri Cazelles, reprise par Benoît XVI[49]. Et nous ne parlons pas ici du décalage du calendrier entre l'Évangile de Jean et les autres, montrant que l'auteur n'a pas le même calendrier que les Douze.
Mais Benoît XVI a parfaitement conscience que cette solution quelque peu simpliste n'est pas suffisante. C'est alors qu'il va faire référence à Eusèbe de Césarée et au fameux témoignage de Papias sur l'existence de deux Jean. Il se base ici sur l'hypothèse, jamais attestée par une personne venant d'Ephèse ou de la région, que Jean l'Ancien aurait succédé à Jean fils de Zébédée auteur de la première version du 4 ème Évangile. Le Pape écrit : « il existait à Ephèse une sorte d'école johannique qui se réclamait du disciple bien-aimé de Jésus et où un certain prêtre Jean était l'autorité déterminante… Ce prêtre Jean apparaît dans la deuxième et la troisième lettre de Saint-Jean, comme expéditeur et auteur de la lettre, mais simplement sous le titre de l'Ancien, sans indiquer le nom de Jean. Manifestement, il n'est pas identique à l'apôtre. Il a du être très proche de l'apôtre et a peut-être même connu Jésus lui-même. Après la mort de l'apôtre, il passait tout à fait pour le porteur de son héritage. Dans la mémoire, les deux figures ont finit par se confondre. En tout cas, nous pouvons attribuer au prêtre Jean une fonction essentielle dans la rédaction définitive de l'Évangile, lors de laquelle il se savait toujours le dépositaire fidèle de la tradition transmise par le fils de Zébédée. [50]» Et le Pape de conclure que « derrière le quatrième évangile, il y a finalement un témoin oculaire et la rédaction concrète a été faite dans le cercle vivant de ses disciples et de façon déterminante par un disciple qui lui était proche »[51].
Encore une fois, il n'y a aucune source crédible nous disant que les deux Jean, le fils de Zébédée et Jean l'Ancien, auraient travaillé ensemble. Comme nous l'avons vu, c’est une invention de Denys d'Alexandrie ne voulant pas tirer les conclusions qui s'imposaient des propos de Papias croisés avec ceux de Saint Irénée.
Ce qui est terrible dans ses efforts désespérés, au point qu'ils en deviennent presque touchant, de vouloir maintenir absolument Jean, fils de Zébédée comme auteur du quatrième évangile, c'est qu'ils ont pour but unique de renforcer la crédibilité de cet évangile en montrant qu'il est au départ basé sur un témoin oculaire. Or la théorie alternative développée ici est non seulement bien plus solide, mais surtout bien plus intéressante pour l'Église catholique, pour toute la chrétienté et pour tous ceux qui cherchent à démontrer la crédibilité des évangiles. Le quatrième évangile n'aurait pas été écrit par le disciple d'un témoin, mais par un témoin lui-même, et pas par n'importe quel témoin, un témoin encore bien meilleur que Jean fils de Zébédée : le disciple que Jésus aimait, le seul à avoir du vivant de Jésus compris réellement ce qui était en jeu, le seul à ne pas l'avoir abandonné au pied de la croix.
On voit donc combien sont contre-productive les démarches qui veulent à tout prix, en se basant sur la théorie des deux Jean, faire de Jean fils de Zébédée la source du quatrième évangile, puisqu'elles décrédibilisent ce qu'elle cherchent à crédibiliser et qu'il existe une solution bien plus crédible qui permet d'aller encore bien plus loin dans la direction où elles veulent se diriger.
On retrouve à peu près la même structure argumentaire chez tous les défenseurs de la thèse « Jean fils de Zébédée est l’auteur du 4 ème évangile » qui convoquent, pour la soutenir les auteurs qui justement permettent de la réfuter !
Prenons par exemple Donatien Mollat dans son ouvrage "St-Jean maître spirituel"[52]. Il commence par nous dire que « le témoignage de plus explicite est celui de Sainte-Irénée à la fin du deuxième siècle ; pour Irénée le fait que ce personnage était l'apôtre Jean fils de Zébédée, l'un des douze, ne semble pas faire de doute »[53].
Bien entendu, aucune démonstration ne suit sur le fait que cette identification ne faisait pas de doute pour Sainte-Irénée, uniquement la mise en avant du mot « apôtre » que, comme nous l'avons vu, Saint-Irénée emploie également pour Paul.
Il cite ensuite Polycrate dans le texte mentionnée ci-dessus et ajoute ce commentaire : « Ce texte fort discuté confirme du moins l'existence et la mort à Ephèse d'un Jean qui avait reposé sur la poitrine du Seigneur [54]». Si il affirme que le texte est « fort discuté », c'est justement parce que celui-ci montre bien que le Jean dont il parle n’est pas un des douze apôtres. Il mentionne ensuite Clément d'Alexandrie et son expression « l'apôtre Jean ». Il a l'honnêteté d'ajouter : « malgré l'élasticité du titre d'apôtre aux deux premiers siècles, et chez Clément lui-même, cette formule ne paraît guère pouvoir signifier ici autre chose que Jean fils de Zébédée, un des douze »[55]. Encore une fois une affirmation sans la moindre démonstration, rien dans le texte de Clément ne mentionnant un des Douze.
Et le plus beau arrive avec le canon de Muratori, dont Mollat nous dit « qu'il ne donne pas explicitement le titre d'apôtre (à Jean) mais rien n'indique non plus que l'auteur ne le tient pas pour tel, à l’égal d'André à qui le titre est attribué»[56] (!).
Il conclue en nous disant « qu'à partir de la fin du deuxième siècle un véritable consensus existe dans l'Église attribuant à Jean l'apôtre, identifié au disciple que Jésus aimait et qui reposa sur sa poitrine, la paternité du quatrième évangile.[57]»
Nous avons vu qu'il y a effectivement un tel consensus mais que l’on n’identifie nullement « à partir de la fin du deuxième siècle » ce disciple que Jésus aimait à Jean fils de Zébédée, puisqu'il faudra attendre la fin du quatrième siècle pour qu'un tel consensus commence à se dessiner.
Bien entendu, ces démonstrations inexactes se reprennent les unes les autres. Dans son ouvrage récent le Père Nicolas Buttet nous dit d'abord : « ce que l'on constate en tout cas c'est que la quasi-totalité des chercheurs récents évitent soigneusement d'identifier le disciple que Jésus aimait à Jean le fils de Zébédée, le frère de Jacques.[58]» On pourrait dire «et pour cause», mais ce qu'il veux nous dire par-là, c'est qu'il y a, non pas un complot mais une tendance des modernistes à ne pas vouloir effectuer cette attribution pour dévaloriser la qualité de témoin de l’auteur de cet évangile.
Il fait alors référence à Clément d'Alexandrie et au canon Muratori et bien entendu à Eusèbe de Césarée, puis finalement, comme argument massue, à Saint Irénée. Il reprend les conclusions de Donatien Mollat : « Il existait un consensus qui attribuait à Jean l'apôtre la rédaction du quatrième évangile ». Mais il n’hésite pas à rajouter : « ce Jean est le frère de Jacques, le fils du tonnerre, celui qui avait reposé sa tête sur le Coeur du Christ, le soir de la dernière Cène »[59], ce que même Mollat (qui partage bien sûr cette conclusion) n’avait pas osé faire, en en restant au terme plus neutre (et pas faux !) de « Jean l’Apôtre ».
Encore une fois, cette affirmation du père Buttet, comme celle de ses prédécesseurs (il cite également longuement l'ouvrage de Benoît XVI) ne repose sur aucune réalité, c’est une tentative désespérée mais particulièrement maladroite et contre-productive de redonner une crédibilité historique à l'Évangile de Jean, et d'en faire le témoignage d'un disciple direct de Jésus (ce qu’est bel est bien cet Évangile mais d’une façon que ces éminentes personnalités n’arrivent pas a comprendre[60]).
Mais avant de conclure, il nous reste une dernière question à étudier : qu'est donc devenu Jean fils Zébédée s'il n'est pas mort à Ephèse sous le règne de Trajan à un âge très avancé pour l'époque ?
La réponse est d'une grande simplicité : il a été mis à mort en même temps que son frère Jacques.
Au début des Actes des apôtres Jean, qui apparaît comme le second de Pierre, est extrêmement actif, puis les Actes des apôtres nous disent en 12,1-2, «Le roi Hérode s'est mis à maltraiter quelques membres de l'église et il fit mourir par l'épée Jacques frère de Jean.» Hérode Agrippa étant mort en 44, cela situe la mort de Jacques vers 42 ou 43. Or un grand nombre de martyrologes ainsi que des documents liturgiques ont gardé la trace de la célébration le 27 ou le 28 décembre de la fête de Jacques et Jean, morts en martyr à Jérusalem. De tels documents ont été retrouvés dans des endroits aussi divers que la Gaule du nord, la Gaule du sud, en Espagne, en Asie mineure et à Jérusalem.
Ainsi il existe un manuscrit syriaque daté de novembre 411 et contenant un certain nombre de textes plus anciens dont un martyrologe qui donne la liste suivante pour la fin décembre : « Nom des martyrs les victorieux avec les jours où ils ont reçu leurs couronnes
Le 27, Jean et Jacques, apôtres, à Jérusalem, le 28 dans la ville de Rome, Paul, apôtre et Simon Pierre, chef des apôtres de notre Seigneur.[61]»
Ce point est d'autant plus intéressant que l'on connaît à l'époque la date à laquelle Pierre et Paul étaient fêtés à Rome, il s'agissait du 29 juin et non du 28 décembre. La mention "à Rome" indique donc, comme le fait remarquer Marie-Émile Boismard, le lieu de décès des apôtres et non l'endroit où ils étaient fêtés de jour-là. De la même façon, on peut en déduire que la mention "à Jérusalem" indique le lieu de leur mort[62].
À l'autre bout de la chrétienté, à Carmona prés de Séville, on trouve gravé sur l'un des piliers de l'église Santa-Maria La Mayor, datant d'environ 480 : « Commence la liste des saint martyrs :
Saint Etienne, Saint Jean l'apôtre. »[63]
À la cathédrale de Trèves, on trouve un missel utilisé en Gaule du Nord qui après la lecture de l'Évangile de Mathieu 20,23, où Jésus affirme que Jacques et Jean seront martyrs, on trouve écrit « Ayant donné leurs corps en offrande à Dieu, ils sont tombés d'une mort précieuse à tes yeux. Parmi lesquels se tiennent tes bienheureux apôtres et martyrs Jacques et Jean. »[64]
Le missel reprend ce thème à toutes les étapes de la messe « en vénérant par la présente fête, les saints apôtres de Dieu et martyrs Jacques et Jean » nous dit par exemple la préface[65].
À 1000 km de là, en Gaule du sud, dans un sacramentaire conservé à Milan, on retrouve la fête en mémoire des martyrs Jacques et Jean[66].
Puis, nous avons de nombreux témoignages de pères de l'église, au premier rang desquels on retrouve Papias. Son oeuvre est perdue, mais nous avons deux extraits qui témoignent que dans le deuxième tome, il parlait du martyre de Jean l'apôtre. Il s'agit d’abord d'une modification introduite au Xe siècle dans le texte d'un moine grec du neuvième siècle, lequel écrit que Jean, seul survivant des douze apôtres s'endormit en paix dans le Seigneur a Ephèse, ce qui est la thèse classique. Mais le copiste a rajouté la phrase suivante qui contredit le texte : « Jean fut digne du martyr, Papias, en effet dans le deuxième livre sur les paroles du Seigneur affirme qu'il fut mis à mort par les juifs, accomplissant ainsi clairement avec son frère la prophétie du Christ à leur sujet.[67]»
Il existe une autre citation de ce même texte faite par Philippe de Side qui écrit vers 430 : « Papias déclare dans son deuxième livre que Jean le théologien et son frère Jacques furent mis à mort par les juifs »[68]. Il y a là bien sûr une contradiction puisque « Jean le théologien » désigne l'auteur de l'Évangile dont personne n'affirme qu'il a fini en martyr, et qui de plus n'aurait pas pu être tué par les juifs à… Ephèse. Comme Philippe de Side suit de très près Eusèbe de Césarée, d’ou provient la confusion entre les deux "Jean", il est clair qu'il a rajouté l'expression "le théologien" qui ne figure pas dans l'autre citation indépendante que nous possédons du même texte. Papias qui a connu Jean, l'auteur du quatrième évangile qui vivait à la fin du premier siècle, est particulièrement bien placé pour savoir que Jean l'évangéliste et Jean le frère de Jacques sont deux personnes différentes et ne sont pas mortes au même endroit. On peut donc être certain ici du rajout par Philippe de Side de ce terme.
Aphraate, évêque d'Edesse prononce en 344 une homélie sur la persécution, dans laquelle il nous dit que Jacques et Jean ont marché sur les traces du Christ[69].
Une homélie de Grégoire de Nysse nous dit également que Jean a compté au nombre des martyrs[70].
Bien sur, tout ceci n'est pas si simple ; à cause du début, au milieu du quatrième siècle, de la confusion entre Jean l'évangéliste et Jean, fils de Zébédée, plusieurs textes, perturbés par cette fausse identification, vont nous livrer des propos incohérents, comme lorsqu'on nous parle du martyr de Jean l'évangéliste par les juifs à Jérusalem. Il y a en plus de nombreuses confusions envisageables, ainsi le martyrologe de Carthage remplace Jacques et Jean fils de Zébédée par Jacques le frère du Seigneur et Jean-Baptiste[71]. Il y a donc trois Jean possibles et deux Jacques, pour une seule fête, au départ celle de Jacques et Jean qui était le 27 ou le 28 décembre. Le martyrologe arménien de Jérusalem nous donne pour le 29 décembre l'apôtre Jacques et Jean l'évangéliste[72]. On voit donc à partir du quatrième siècle et surtout du cinquième siècle, que la confusion commence à s'établir, mais qu’elle ne peut complètement, avant le Xe siècle, effacer la couche sous-jacente qui nous montre bien que Jacques et Jean ont été fêtés ensemble comme martyrs dans de nombreux endroits de l'église primitive.
Mais il reste une très importante objection. Si Jean et Jacques sont bien morts en martyrs accomplissant ainsi la fameuse prophétie de Jésus rapportée en Marc 10,39 et Mathieu 20,23, pourquoi les Actes des apôtres n'en parlent-ils pas? La seule réponse possible c'est qu'ils en parlaient à l'origine mais que, comme nous n'avons pas le texte original, celui-ci a été remanié et adapté, à partir du milieu du quatrième siècle, à ce qui est devenu, avec Eusèbe de Césarée, l'histoire « officielle » de l'église.
Cela peut paraître une hypothèses ad hoc et donc de faible valeur, néanmoins elle est fortement soutenue par une analyse détaillée de la fameuse mention de la mort de Jacques dans les Actes 12,2
En effet, le texte nous dit, « il fit mourir Jacques le frère de Jean par le glaive ». Or, pas une seule fois dans les Évangiles Jacques est nommé comme étant le frère de Jean, car il a priorité sur lui, étant l’ainé. On parle de « Jacques et Jean fils de Zébédée », de « Jacques le fils de Zébédée et Jean son frère », (Mathieu 4,21, Marc 1,19, Marc 10,2 ou encore en Marc 3,17), ou « Jacques le fils de Zébédée et Jean le frère de Jacques ». C'est donc Jaques qui est toujours désigné en premier, et Jean est désigné comme étant son frère. Donc on aurait normalement dû lire, "il fit mourir Jacques le fils de Zébédée".
De là à dire que le texte d'origine était "il fit mourir Jacques le fils de Zébédée et son frère Jean par le glaive", il n'y a qu'un pas que, certes, on ne pourra jamais franchir avec certitude. Mais Marie-Emile Boismard nous dit qu'il existe deux manuscrits éthiopiens des Actes des apôtres, dans lequel il est écrit l'inverse : "il fit mourir Jean le frère de Jacques par le glaive".[73] On peut parfaitement prétendre qu'il s'agit d’erreurs de copie, mais si on rassemble tous les textes qui mentionnent le martyre de Jean et de Jacques à Jérusalem ainsi que la forme bizarre de l'allusion à Jacques en Actes 12,2 et l’existence de ces deux manuscrits éthiopiens (qui auraient échappé à la révision du texte car se trouvant dans un pays éloigné), on a alors une vision très cohérente de l'ensemble. Et cela d'autant plus que les Actes des apôtres ne mentionnent plus jamais Jean le frère de Jacques après ce passage, et mentionnent plus tard un autre Jean dont on prend le soin pour éviter les confusions de préciser qu'il était surnommé Marc.
Mais ce mystérieux Jean l'évangéliste qui vécut à Jérusalem jusqu'au milieu des années 60 au moins, il y a bien dû y avoir quelqu'un pour le rencontrer, non ? Eh bien oui, justement Paul nous dit en Galates 2,9 que lors de son second séjour à Jérusalem, lors du fameux « Concile », celui qui décida de l'avenir du jeune mouvement qu'était le christianisme, il a rencontré les trois piliers de l'église qu'étaient Jacques, Pierre et Jean, cités dans cet ordre.
Il y a tout lieu de penser que le « Jean » qu’il a rencontré à ce moment est bel et bien Jean l'évangéliste et non pas Jean le fils de Zébédée, qui selon toute vraisemblance était mort depuis une dizaine d'année. La meilleure preuve, c'est que les Actes des apôtres parlent en détail de ce Concile mais ne mentionnent absolument pas la présence de Jean, alors qu'ils parlent beaucoup de Jean dans les premiers moments de l'apostolat des Douze après le départ de Jésus.
Nous voyons donc qu'il y avait un "Jean" qui accompagnait Pierre au tombeau le jour de la résurrection, mais les évangiles synoptiques n'en parlent pas. Il y avait un "Jean" au pied de la croix, mais les évangiles synoptiques n'en parlent pas. Il y avait un "Jean" au Concile de Jérusalem, mais les Actes des apôtres ne nous en parlent pas ! La crédibilité de la thèse selon laquelle il aurait existé un disciple de Jésus, appelé Jean, qui joua rôle essentiel, qui ait été un des piliers de l'église primitive, et qui a laissé ce qu'on appelle la tradition johannique, mais dont les Actes des apôtres et les synoptiques n'ont jamais parlé est ainsi, à la lumière de ces faits, extrêmement forte. C'est à la fois pour sa sécurité et parce que les synoptiques et les Actes donnent la priorité aux Douze qu'il n'apparaît jamais. De la même façon que Jacques le juste (pas le frère de Zébédée) apparaît à peine dans les Actes, malgré la prééminence qui semble avoir été la sienne au milieu du premier siècle, lui le premier évêque de Jérusalem.
En conclusion, nous voyons que si l'on rassemble les informations données par Saint Irénée, Papias, Polycrate et le canon de Muratori, tous les auteurs du deuxième siècle affirment, au moins indirectement, que Jean, auteur du quatrième évangile, n'est pas un des Douze, et cela alors même que la « doxa » de l’Église consiste à affirmer que « Toute la tradition des Pères nous présente Jean comme le Fils de Zébédée et le Disciple bien-aimé! ». Les preuves avancées sont toujours basées sur le mot « apôtre » accolé à un « Jean » dont il n’est jamais précisé par aucun auteur du deuxième siècle ou du début du troisième qu’il s’agit de l’un des Douze ou du Fils de Zébédée.[74]
Cela est renforcé par la structure très différente de son Évangile qui donne le point de vue d'un judéen et non d'un galiléen et par la différence d'une journée entre les calendriers utilisés par lui et les Douze. De nombreuses indications suggèrent qu'il était un prêtre et Jean 18,5 nous apprend qu'il était un proche du Grand Prêtre. On ne pourra jamais savoir avec certitude qui il était. L’hypothèse de Joseph Duponcheele selon laquelle il était un des fils de Hanne peut paraître séduisante mais elle se heurte à un détail.
Un jeune homme de 20 ans possédait-il déjà à l’époque sa propre maison ? Cela paraît peu probable dans une époque où les familles élargies vivaient ensemble. Or il est exclu que la Cène et plus tard l’hébergement des apôtres et de la Vierge ait eu lieu dans la maison du Grand Prêtre !
Il peut avoir été un de neveux du Grand Prêtre, ou le fils d’une grande personnalité juive de l’époque comme Nicodème ou Gamaliel. Cette dernière piste serait sans doute à explorer (elle ne l’a pas été à ma connaissance) quand on voit comment ce grand théologien juif, un des plus respecté de cette période, intervient en faveur des apôtres en Actes 5,34-39.
L'hypothèse selon laquelle l'Évangile aurait été écrit par Jean, fils de Zébédée et que celui-ci serait un homme instruit proche du Grand Prêtre, voire un prêtre lui-même, ne tient pas un instant à cause de Actes 4,13.
L'hypothèse des deux "Jean" selon laquelle Jean l'Ancien aurait pris la suite de Jean fils de Zébédée ne tient pas non plus à cause du double témoignage de Saint-Irénée et de Papias. Rappelons-nous qu'elle est au départ basée sur des "on-dit" entendus par Denys d'Alexandrie et repris sans croisement entre les oeuvres de Saint Irénée et Papias par Eusèbe de Césarée.
La thèse selon laquelle l'auteur serait Lazare est impossible à cause de Jean 18,15. Lazare était recherché pour être mis à mort par le Grand Prêtre, il ne va quand même pas se rendre dans sa maison !
La thèse d'une écriture tardive de l'Évangile par une communauté johannique basée en Asie Mineure ne résiste pas à un examen sérieux fait par des spécialistes du judaïsme du premier siècle tel que Jacqueline Genot-Bismuth ou Martin Hengel. L'auteur de cet évangile était un juif du premier siècle ayant vécu à Jérusalem, et surtout ayant une très bonne connaissance des rituels et des dispositions juridiques du judaïsme de l'époque.
On ne voit pas non plus pourquoi l'évangile de Jean pourrait avoir été écrit par un disciple secondaire qui aurait progressivement pris de l'importance dans la communauté chrétienne au fil des années, comme le suggère un auteur aussi éminent que Raymond Brown[75].
En effet, Saint Irénée et de nombreux autres auteurs du deuxième siècle affirment avec force qu'il s'agissait bien du disciple assis à la droite de Jésus lors de la Cène.
Nous voyons donc qu'il n'y a pas vraiment d’hypothèse alternative à celle qui ressort de cette étude. Le disciple le plus important de Jésus, son disciple préféré n'était pas l'un des Douze. Il a été en contact avec lui probablement plus longuement qu'eux, puisqu'il ne décrit pas moins de cinq montées à Jérusalem et de nombreux événements ignorés des Douze. De son côté, il ignore l'essentiel de ce qui s'est passé en Galilée dont un événement aussi important que la Transfiguration.
Je ne suis pas le premier dans la longue et riche histoire de l'exégèse de l’Évangile de Jean à avoir proposé cette triple identification selon laquelle Jean l’Ancien mentionné par Papias, le disciple que Jésus aimait, présent à la Cène et l'auteur du quatrième évangile serait une seule et même personne. Mais il est véritablement étonnant de voir à quel point cette thèse a été peu développée malgré la force que lui donne le croisement des témoignages de Saint Irénée et de Papias. À ma connaissance le premier à postuler cette thèse a été Jean Colson en 1969[76] puis elle est reprise de façon indépendante (il ne cite pas Colson) par Martin Hengel, théologien luthérien, professeur à l'université de Tübingen en Allemagne, au milieu des années 80[77]. Sa thèse est développée et renforcée par l’exégète Richard Bauckham, chercheur à l'université de Cambridge et ancien professeur à Saint Andrews, au début des années 2000[78], selon qui la thèse de Hengel est encore plus forte que ce dernier ne l’imagine.
Il est à noter que Colson s’égare en reprochant à tort, selon moi, à Saint Irénée d'avoir confondu Jean l’Ancien et Jean fils de Zébédée,
alors que mon étude sur toutes les occurrences de « Jean » chez Saint Irénée montre que ce n'est pas le cas. Par contre Colson a aussi été (toujours à ma connaissance) le premier à lier cette triple identification à la thèse de la mort précoce en martyr de Jean fils de Zébédée. Thèse qui a été développée de façon extrêmement convaincante par Marie-Emile Boismard en 1996[79] mais qui est déjà exprimé sous une forme assez complète par Badham dès 1904[80]. C’est le rapprochement de ces deux thèses qui donne à l’ensemble une force susceptible d’emporter la conviction de tout observateur impartial.
Nous pouvons tirer de cette étude deux conclusions: tout d'abord nous disposons non seulement d'un témoignage de première main sur Jésus, mais du meilleur témoignage possible et imaginable, celui de l'homme qui fut le plus proche de lui et qui a le mieux compris son message. Cela déconstruit profondément toutes les interprétations modernistes avec lesquelles nous avons commencé cette étude, telle que celle de Bultmann ou plus récemment des auteurs de « Corpus Christi ».
D'un autre côté, cela implique que toutes les églises catholiques, protestantes et orthodoxes ne sont issues que d'une des écoles (certes la plus importante) du christianisme primitif, celle représentée par la tradition des Douze et par Paul. A part une brève lettre, et peut-être quelques éléments de l'Évangile de Thomas, il ne reste rien de la théologie de l’Église de Jacques le juste. Malgré quelques différences importantes à l'origine, la tradition johannique s'est peu à peu fondue dans l'église qui l’a acceptée, non sans hésitation, (certains auteurs ayant voulu éliminer l'Évangile de Jean du canon car il était trop différent des autres). C'est ce qui a permis de préserver ce texte extraordinaire, dont Origène disait « aucun des trois premiers évangélistes ne nous a aussi purement que Jean fait apparaître la divinité du fils de Dieu. N'hésitons donc pas à le dire, les Évangiles sont les prémices de toute l'écriture et les prémices de l'Évangile, c'est l'Évangile de Saint-Jean.[81]»
Il n'entre pas dans le cadre de cette étude d'analyser la spiritualité, la beauté et la profondeur de l'Évangile de Jean. Mentionnons simplement que les chapitres 14 à 17 sont d'une spiritualité et d'une hauteur inconnues dans les autres évangiles, et que les 5 premières phrases de son prologue sont d'une profondeur métaphysique telle que l'on peut passer des jours à les méditer. Jésus ne s'était donc pas trompé (cela ne nous surprendra guère !) en faisant de cet homme son disciple préféré.
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le verbe était Dieu.
Il était au commencement avec Dieu.
Par lui tout a paru et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point arrêtée.[82]
[1] Gérard Mordillat, Jérome Prieur, Jésus contre Jésus, Seuil, 2008, p. 38
[2] Provient de http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5225
[3] Presses de la Renaissance, 2007
[4] Qu’il me soit permis de citer ici mon père : « La littérature tendant à contester le témoignage des Evangiles s’enracine dans le courant sceptique et matérialiste de la pensée née au XIXe siècle. (…) Des « vies de Jésus » romancées remplissent aujourd’hui les rayons des librairies. Leur scenario suit Renan selon ce modèle : Qu’aurais-je fait si j’étais à la place de Jésus ? Ressusciter Lazare ? Impossible. Donc, c’était un camouflage … » Georges Staune, Préface à l’Évangile de Thomas, Editions Autre Part, 2006, p.1
[5] Jean Mattieu Rosay « Pour Dieu, Contre l'Église, La révolte d'un prêtre » Édition Jacques Grancher, 1993, P.157
[6] Toutes les citations de la Bible sont tirées de la traduction de Louis Segond disponible ici http://www.info-bible.org/lsg/INDEX.html
Sauf le prologue de l’Evangile de Jean cité à la fin de ce texte qui provient de la Bible d’Osty
[7] Voir à ce sujet François Dreyfus, Jésus savait-il qu’il était Dieu ?, Cerf, 1984
[8] Certains exégètes modernistes vont alors prétendre que Jésus n’a jamais dit cela, et que c’est un ajout pour « coller » au psaume 22. Une analyse comparative de Marc 15,34, Matthieu 27,46, Luc 23,34, Jean 19,24 montre à quel point c’est peu probable : Marc cite la phrase et fait le lien avec le psaume 22, Matthieu cite la phrase mais ne donne aucun indice au lecteur (pourquoi dans ce cas inventer cette phrase au risque de l’induire gravement en erreur?), Luc ne cite pas cette phrase mais parle du partage des vêtements avec tirage au sort, toujours sans réaliser le lien avec le psaume 22. Jean parle de tirage au sort et fait le lien (mon hypothèse certes spéculative : Jean a entendu la phrase mais ne la cite pas pour éviter justement que son lecteur ne tombe dans l’erreur de croire que Jésus s’est plaint d’être abandonné de Dieu). Cela permet de conclure à la non-invention du partage des vêtements et de la citation.
[9] Pierson Parker, John the Son of Zebedee and the Fourth Gospel, Journal of Biblical Literature, Vol. 81, No. 1 (Mar. 1962), pp. 35-43
[10] Contrairement à ce que certains affirment, il ne peut s’agir de Matthieu car ce dernier est un publicain, Jésus ne pourrait donc pas dire de lui ce qu’il dit de Nathanaël « Voici vraiment un Israélite, dans lequel il n'y a point de fraude ». (Jean 1,47) vu la réputation des publicains, associés aux prostituées (Matthieu 21,28-32)
[11] Claude Guérillot, Le témoin du Christ, Une approche de l’évangile selon Jean, Editions Véga, 2003, p. 86
[12] Ouvrage cité, p. 94
[13] Ouvrage cité, p. 97
[14] Ouvrage cité, p. 96
[15] Joseph Duponcheele, Jean L’évangéliste fils de Hanne ?, ouvrage disponible sur le site http://www.penser-dieu-et-son-oeuvre.com
[16] Jean Colson, L’Énigme du disciple que Jésus aimait, Éditions Beauchesne, 1969, p. 85-88
[17] Ce brillant raisonnement ce trouve chez Jean Colson, ouvrage cité, p.89
[18] Claude Tresmontant, Le Christ Hébreu, la langue et l’âge des évangiles, O.E.I.L., 1983, p. 287-289
[19] Voir son livre Un homme nommé Salut. Genèse d’une hérésie à Jerusalem, Edition O.E.I.L., 1986, p. 210-284
[20] Martin Hengel, The Johannine Question, SCM Press, 1990, voir p.110-112
[21] Jacqueline Genot-Bismuth, ouvrage cité, p. 227
[22] Jacqueline Genot-Bismuth, ouvrage cité, p. 259-260
[23] http://fr.wikipedia.org/wiki/Piscine_de_Bethesda
[24] Martin Hengel, The Johannine Question, SCM Press, 1990, p. 110, et Klaus Beyer Semitische Syntax im Neuen Testament, Vandenhoeck & Ruprecht, 1968, voir p.17 et 297.
[25] Adolf Schlatter, Die Sprache und Heimat des vierten Evangelisten, BFCT 6, 1902 repris dans K.H. Rengstorf, Johannes und sein Evangelium, WdF 82, 1973, p. 28-199, voir p. 28-29.
[26] Martin Hengel, ouvrage cité, p.111
[27] Voir par exemple Richard Bauckhman, The Testimony of the Beloved Disciple, Baker Academic, p. 77.
[28] Notons au passage que l’Evangile de Jean lui-même nous explique qu’il ne faut pas interpréter la réponse de Jésus au sens littéral.
[29] Pierre-Antoine Bernheim, Jacques, le frère de Jésus, Albin Michel, 2003, p.45
[30] Voir Pierre-Antoine Bernheim, ouvrage cité, 251-291
[31] Voir Georges Staune, Préface à l’Évangile de Thomas, Editions Autre Part, 2006, p.7
[32] Il s’agit des textes disponibles ici http://remacle.org/bloodwolf/eglise/irenee/heresies1.htm
[33] Voir Richard Bauckhman, The Testimony of the Beloved Disciple, Baker Academic, p. 49.
[34] Richard Bauckhman en compte seulement 69 mais ne donne pas les références ; j’ai l’intention de lui envoyer ma liste pour comparer avec la sienne ; Voir Richard Bauckhman, Jésus and the Eyewitnesses, Eerdmans Publishing, 2006, p. 469
[35] Saint Irénée, ouvrage cité, Tome III, 3, 4
[36] http://fr.wikipedia.org/wiki/Papias_d'Hi%C3%A9rapolis#cite_note-1
[37] Saint Irénée, ouvrage cité, Tome V, 33, 4
[38] Hypothèse émise par Denys d’Alexandrie et basée sur de simples « ouï-dire » comme nous le verrons
[39] Voir Jean Colson, Ouvrage cité, p. 50-51
[40] En désespoir de cause certains ont soutenu l’hypothèse que Papias parlait d’un seul et même « Jean » dans la même phrase, une fois au passé et une fois au présent et en lui donnant le qualificatif de « l’ancien » une fois sur deux ! Cela montre jusqu'à quel niveau d’illogisme certains sont prêt à aller pour sauver l’identification de l’auteur du 4ème évangile à Jean fils de Zébédée. Voir J. Chapman, John the Presbyter and the Fourth Gospel, Oxford, Clarendon, 1911.
[41] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Tome V, 24, 2
[42] Claude Tresmontant, Le Christ Hébreu, la langue et l’âge des évangile, O.E.I.L. 1983, p. 304-305
[43] Selon une hypothèse de Richard Bauckhman, Polycrate assimile « Jean l’Ancien » avec le « Jean » membre du Sanhédrin, qui fait parti de ceux devant qui comparaissent Pierre et … Jean, fils de Zébédée, en Actes 4,6. Si cette hypothèse est exacte cela veux dire que la communauté d’Éphèse ne se tournait PAS vers Jean fils de Zébédée quand elle cherchait une trace de « son » jean dans les évangiles ! Voir Richard Bauckhman, The Testimony of the Beloved Disciple, Baker Academic, p. 50.
[44] J’entends par « source » des auteurs identifiés. Des apocryphes du milieu du deuxième siècle comme les Actes de Jean et l’Epitre des Apôtres attribuent bien l’évangile à Jean, fils de Zébédée, mais les événements qu’ils décrivent en font des documents plus proches d’un scénario de péplum hollywoodien que de textes contenant des informations sur l’histoire de l’Église. Ainsi dans les « Actes de Jean » une femme se suicide pour rester vierge et échapper à un amoureux qui la pourchasse de façon insistante. Celui-ci va alors profaner son tombeau, il est surpris par l'apôtre Jean dans un acte de nécrophilie, il se suicide de honte, mais l’apôtre va les ressusciter tous les deux et ils vont vivre chastement comme frère et sœur…
[45] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Tome III, 39, 2
[46] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Tome VII, 25, 1-27
[47] Benoit XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion 2007, p. 250-251
[48] Henri Cazelles, Johannes, ein sohn des Zebedäus, « Priester » und Apostel, IkaZ Communio 31 (2002), p. 479-484
[49] Benoit XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p. 250
[50] Benoit XVI, ouvrage cité, p. 253
[51] Benoit XVI, ouvrage cité, p. 253
[52] Donatien Mollat, Saint Jean Maitre Spirituel, éditions Beauchesne, 1976
[53] Donatien Mollat, ouvrage cité, p.10
[54] Idem
[55] Idem
[56] Donatien Mollat, ouvrage cité, p.11
[57] Idem
[58] Nicolas Buttet, Le disciple que Jésus aimait, Editions de l’Emmanuel, 2012, p. 22
[59] Nicolas Buttet, ouvrage cité, p. 25
[60] Nicolas Buttet cite les conclusions de Jean Colson (mais pour les dévaluer au milieu de thèses farfelues attribuant, par exemple l’Évangile de Jean, à Marie Madeleine). Benoit XVI écrit page 251 : «Après les recherches de Jean Colson, de Jacques Winandy et de Marie-Émile Boismard, l’exégète français Henri Cazelles, en étudiant la sociologie du sacerdoce du Temple avant sa destruction, a montré qu’une telle identification (entre Jean fils de Zébédée et l’auteur du 4 ème évangile ) était tout à fait plausible », comme si ces auteurs soutenaient la thèse qu’il présente, celle de Cazelles, alors que ces auteurs sont ceux qui la réfutent le mieux, ce que Benoit XVI ne précise pas à ses lecteurs, pas plus qu’il n’essaie de réfuter leur réfutation.
[61] Marie-Émile Boismard Le martyre de Jean l’apôtre, J.Gabalda et Cie, 1996, p. 22
[62] Boismard, ouvrage cité, p. 27
[63] Boismard, ouvrage cité, p. 36
[64] Boismard, ouvrage cité, p. 18
[65] Idem
[66] Boismard, ouvrage cité, p. 29-33
[67] Boismard, ouvrage cité, p. 53-58
[68] Idem
[69] Boismard, ouvrage cité, p. 52
[70] Boismard, ouvrage cité, p. 47-50
[71] Boismard, ouvrage cité, p. 27-29
[72] Boismard, ouvrage cité, p. 37-44
[73] Boismard, ouvrage cité, p. 60
[74] Autre exemple, on trouve dans le Dialogue de Saint Justin avec Tryphon, qui date du milieu du deuxième siècle, en 61,4 : « Ajoutez le témoignage d'un apôtre de Jésus-Christ, un de nos écrivains sacrés, nommé Jean » voir le texte sur http://remacle.org/bloodwolf/eglise/justin/tryphon.htm Bien entendu cela sera présenté par certains comme une preuve de plus de l’identité entre Jean Fils de Zébédée et l’auteur de l’évangile.
[75] Raymond Brown, Que sait-on du nouveau testament ?, Bayard, 2011
[76] Jean Colson, L’Énigme du disciple que Jésus aimait, Éditions Beauchesne, 1969
[77] Martin Hengel, The Johannine Question, SCM Press, 1990
[78] Richard Bauckham, The Testimony of the Beloved Disciple, Baker Academic, 2007, Voir aussi son ouvrage, Jesus and the Eyewitnesses, Eerdmans Publishing, 2006
[79] Marie-Émile Boismard Le martyre de Jean l’apôtre, J.Gabalda et Cie, 1996
[80] F. P. Badham The Martyrdom of John the Apostle, The American Journal of Theology, Vol. 8, No. 3 (Jul., 1904), pp. 539-554
[81] Origène Commentaire sur l’évangile de Jean, 1-6
[82] La traduction utilisée ici est celle de la Bible d’Osty