Résumé et commentaire de "Les Ombres de l'Esprit" de Roger Penrose Comment nos sentiments de bonheur, de douleur, d'amour, de sensibilité esthétique, de volonté, de compréhension sont-ils générés ? Peut-on les ramener à un calcul numérisable ? Il semble y avoir quatre grandes catégories de réponses à cette question : A) Toute pensée se réduit à un calcul, y compris le sentiment que nous avons d'exister en tant qu'êtres conscients. B) La conscience est un produit de l'activité physique du cerveau. Mais bien que toute action physique puisse être simulée par un calcul, une telle simulation ne peut, elle-même, créer de la conscience. C) La conscience est suscitée par une action physique du cerveau, mais aucun calcul ne peut simuler, même à la perfection, cette action physique. D) La conscience contient une dimension qui ne peut être expliquée à l'aide d'aucune sorte de disciplines scientifiques. A est la position des tenants de "L'intelligence artificielle forte". Le plus illustre d'entre eux est sans doute Alan Turing, l'un des créateurs de l'informatique. Pour savoir si un ordinateur a atteint le niveau de conscience de l'être humain, il suffit de lui faire passer un "test de Turing"[1]. Puisque, selon eux, le propre de l'homme n'est rien d'autre qu'un calcul, les supporters de A pensent que l'on pourra demain transférer les schémas d'information que nous sommes dans des ordinateurs (je ne sais pas si vous pensez, Marina, tout comme moi que cette phrase est très moyennement française !!!) L'ère des êtres biologiques sera ainsi terminée. Ce transfert sera nécessaire pour que nous ne soyons pas relégués dans un zoo par les ordinateurs qui, non seulement égaleront toutes les capacités humaines, mais les dépasseront. Pour de grands spécialistes de la robotique ou de l'intelligence artificielle du MIT comme Hans Moravec, Marvin Minsky, Edward Fredkin, cet avenir est inéluctable puisque l'ensemble de nos pensées, sentiments, etc. sont, par hypothèse, réductibles à un calcul très complexe, un ordinateur capable de calculs aussi complexes pourra éprouver la joie, la peine, l'amour, ressentir des interrogations métaphysiques etc... Un tel ordinateur devra ainsi ^être pourvu de la citoyenneté et du droit de vote. Certains supporters de l'hypothèse A prédisent même que la lutte pour la reconnaissance des droits des ordinateurs sera l'un des grands combats de la fin du XXIème siècle et sera la source de conflits du même type que la guerre de Sécession, entre partisans de la "libéralisation" des ordinateurs et ceux qui voudront les maintenir en "esclavage". Les partisans de l'hypothèse B ne nient pas non plus qu'un ordinateur puisse réussir un jour le "test de Turing". Mais ils font remarquer que la simulation d'un processus physique est très différente du processus lui-même. Ainsi la simulation, même parfaite, sur un ordinateur, d'un ouragan produit -heureusement !- des effets très différents de l'ouragan lui-même. Ainsi, un ordinateur pourra parfaitement simuler toutes les caractéristiques d'un comportement humain (parler de son désir pour telle actrice, de son désespoir de ne pouvoir nager, de sa quête métaphysique...) sans avoir la moindre idée de ce qu'est l'amour, la peine, etc... Le philosophe John Searle a formalisé cela avec "l'histoire de la chambre chinoise". Un homme est enfermé dans une pièce avec des livres en chinois. L'étude de ces livres durant des années lui permettra de donner par écrit des réponses aux questions qui seront glissées sous la porte. Pour les observateurs extérieurs qui parlent le chinois et glissent les questions sous la porte, il n'y aura pas de doute que l'homme situé dans la chambre comprend le chinois, alors que celui-ci manipule des symboles sans avoir la moindre idée de ce qu'ils signifient ! Ainsi les partisans de B affirment que si l'activité biologique du cerveau peut susciter de la conscience, une simulation électronique précise de cette activité ne le peut pas. Selon l'hypothèse C, aucun ordinateur ne réussira le "test de Turing". Si l'on fait durer le test suffisamment longtemps, on finira par trouver la faille qui permettra de conclure qu'il s'agit d'un ordinateur et non d'un homme. Cela n'implique pas pour les tenants de C que la conscience possède une dimension "mystique" ou non physique. L'esprit est pour eux le produit du comportement de certains objets physiques 'le cerveau mais pas uniquement lui), mais il dépend d'actions physiques qu'aucun ordinateur ne peut parfaitement simuler, car il s'agit d'actions qui ne sont pas réductibles à des calculs. Les partisans de C se divisent entre ceux qui pensent que la physique actuelle, avec la théorie du chaos, le hasard et les discontinuités existant dans la physique de l'infiniment petit (appelée "physique quantique") nous offrent des exemples suffisants de comportements échappant à toute simulation numérique ; et ceux qui, comme Roger Penrose lui-même, pensent qu'une physique fondamentalement nouvelle est nécessaire pour prendre en compte les phénomènes non-calculables dont l'existence ne peut aujourd'hui plus être niée. La position D considère l'esprit comme une entité ne pouvant être expliquée totalement en termes scientifiques. Pour ces supporters, comme le neurologue Sir John Eccles (prix Nobel de Médecine) ou le logicien Kurt Gödel [2], le cerveau est le récepteur de l'esprit et non l'émetteur. Si vous coupez un fil de votre poste radio, vous n'entendrez plus de musique. Mais il serait absurde d'en conclure que la musique est produite par le poste radio et de démonter toutes les pièces du poste pour essayer de comprendre comment s'effectue cette production. De la même façon, si des lésions du cerveau modifient le comportement d'un sujet, cela n'implique pas que les mécanismes de production de la conscience puissent être trouvés, même en analysant de la manière la plus fine possible le fonctionnement du cerveau. Quelle différence existe-il entre l'Homme et l'ordinateur ? Pour critiquer les positions A et B, il faut pouvoir démontrer qu'il existe au moins un cas ou nous pouvons avoir accès à une connaissance à laquelle un ordinateur n'accédera pas. Or il est difficile de faire des démonstrations mathématiques sur les capacités des ordinateurs à acquérir le sens de l'éthique, de l'esthétique, de l'amour, etc... Penrose va donc se tourner vers les mathématiques, l'un des domaines de prédilection des ordinateurs, puisque, par définition, une démonstration mathématique peut être écrite, donc entrée dans un ordinateur. On a d'ailleurs déjà mis au point des ordinateurs pouvant démontrer des théorèmes de mathématiques. Il va utiliser une variante du célèbre théorème de Gödel [3] : le problème de "l'arrêt d'un calcul". Si l'on bâtit un calcul sur la définition suivante : "chercher un nombre pair qui soit la somme de deux nombres pairs", ce calcul va s'arrêter très vite. A peine aura-t-il commencé à passer en revue tous les nombres qu'il va tomber sur 6 = 4 +2 et arrêtera alors sa quête. Mais le calcul "chercher un nombre impair qui soit la somme de deux nombres pais", lui, ne s'arrêtera jamais. Il aura beau examiner les nombres jusqu'à l'infini, il n'en trouvera jamais qui remplieront la condition voulue. On peut alors imaginer une procédure de calcul A dont le rôle va être de déterminer si un calcul donné C s'arrête ou non. Si le calcul A (C) - c'est à dire la procédure de calcul A à laquelle on a soumis le calcul C- s'arrête ; cela indique que le calcul C ne s'arrête jamais. On ne demande bien sûr pas à A d'être parfait, il se peut que le calcul C ne s'arrête jamais et que A ne puisse pas le démontrer. Mais on lui demande d'être fiable. Si A s'arrête, on peut être certain que le calcul C ne s'arrête jamais. Si A ne s'arrête pas (si A "tourne" sur un ordinateur, on dira qu'elle "boude"), on ne peut pas en tirer de conclusion sur C : C peut s'arrêter (auquel cas le plus simple est de chercher empiriquement un exemple), on ne peut s'arrêter, sans que A soit capable de le "voir". Voila donc notre situation de départ : nous avons une procédure A et nous lui soumettons tous les calculs pouvant exister : C0, C1, C2, C3, C4... Mais parmi eux, il y en aura un, appelons le Cx, qui sera... la procédure A elle-même, puisqu'elle est aussi un calcul ! A (Cx) est donc égale à A (A). Il est évident que ce dernier calcul ne s'arrêtera jamais. Car s'il s'arrêtait, cela signifierait que la procédure A ne s'arrête jamais... alors qu'elle vient de s'arrêter. On a bâtit A pour, qu'à défaut qu'elle puisse toujours fournir une réponse, elle ne fournisse pas de fausse réponse. Ce qui implique que A (A) ne peut s'arrêter et que la proposition "A (A) ne s'arrête jamais" est vraie. Pourtant, il n'en existe pas de démonstration, car pour le démontrer, il faudrait justement qu'elle s'arrête ! Nous venons donc de bâtir une proposition vraie mais non démontrable. Mettons-nous à la place d'un ordinateur. Pour aboutir à une conclusion, celui-ci a besoin d'une démonstration reposant sur une procédure. Il ne pourra jamais conclure que la proposition "Le calcul A (A) ne s'arrête pas" est vraie puisqu'il utilise la procédure A pour essayer de déterminer cela. Bien sûr, on peut lui fournir une autre procédure, B, pour effectuer la même tâche mais alors pour B (B), le problème se reproduira... ainsi eu pour toute autre procédure de calcul que l'on pourra lui fournir et qui aura pour fonction de détecter l'arrêt des différents calculs existant. Un humain (même non mathématicien !) peut très bien, lui, être convaincu du non arrêt de toutes les procédures de calcul A (A), B (B) etc... Si nous utilisions une de ces procédures (même de façon totalement inconsciente) pour nous persuader du non arrêt de ces calculs... elle ne pourrait pas s'appliquer à elle-même ! Ce qui prouve bien que nous n'utilisons pas, en nous-même, une procédure du type A, pour être convaincus de la vérité de la proposition "A (A) ne s'arrête jamais". Ainsi, dans un domaine dans lequel les procédures de calcul règnent en maître, celui de la détermination de la vérité mathématique des propositions, nous avons pu montrer que, dans au moins un cas, l'activité cognitive de l'être humain ne pouvait être réduite à une procédure de calcul. Cette "brèche" est d'une énorme importance, car on peut alors extrapoler cette conclusion à beaucoup d'autres domaines, moins techniques, où l'on soupçonnait, sans pouvoir nullement le prouver, que l'activité humaine n'était pas non plus réductible à une procédure de calcul (le sentiment amoureux, esthétique, etc...) Après avoir développé, chapitre 2, la démonstration que nous venons de résumer (de manière forcément très simpliste), Penrose imagine, au chapitre 3.23, l'un des "échecs au test de Turing" les plus subtils qui soient. Dans un futur lointain, un informaticien dialogue avec le super robot hyper intelligent qu'il a crée. Ce robot, un rien méprisant, lui explique toutes les erreurs qu'il corrige dans les démonstrations des humains et la manière dont il s'auto-test en permanence pour ne pas faire d'erreurs. Mais, lorsque son créateur lui soumet une proposition du type A (A), il ne peut admettre (et Penrose prend soin de détailler toutes les étapes du raisonnement du robot) la vérité de cette proposition. Son créateur lui montre alors que cette proposition fait partie de celles qui ont été injectées dans le robot lors de sa création. Après une réflexion de plus en plus agitée, le robot finit par se prendre pour le Messie, et est envoyé à la casse! Le pire c'est qu'il est logique que le robot ait une telle réaction. En effet, il ne peut accepter la vérité de la proposition "A (A) ne s'arrête jamais" ni qu'il a été bâti sur un ensemble de données contenant cette proposition. La seule explication, c'est qu'entre le moment où il a été créé imparfait par l'homme et le moment où il a commencé à fonctionner comme super démonstrateur de théorèmes ne se trompant jamais, une intervention divine a eu lieu ! Une nouvelle physique est-elle nécessaire pour comprendre l'esprit ? Rejetant la proposition D selon laquelle la conscience ne serait pas produite par le cerveau, Penrose adopte donc la position C selon laquelle aucune simulation numérique ne peut parfaitement rendre compte de la façon dont le cerveau produit la conscience. Dans la deuxième partie de l'ouvrage, il va donc développer l'idée que seule la mise au point d'une nouvelle physique, capable d'intégrer des événements ne pouvant être calculés, pourrait rendre compte du fonctionnement de l'esprit. Il se base, pour cela, sur l'étude de la physique quantique. En effet, le comportement des particules élémentaires contient des éléments non calculables. Si on lance une balle de tennis on peut, en connaissant les différents paramètres (force du bras, poids de la balle, etc...), en déduire la trajectoire de celle-ci. Pour un proton, un électron ou un neutron, cela est impossible. Si on en lance 1 000 sur un écran, on peutsavoir avec précision l'image générale qu'ils vont former et qui dépend des caractéristiques de l'expérience. Mais il n'y a aucun moyen de connaître à l'avance le point d'impact d'une particule donnée. L'explication, c'est que toutes ces particules, qui composent pourtant tous les objets que nous connaissons, ont un comportement qui ne ressemble à rien de ce qui existe. Lorsqu'elles interagissent avec quelque chose (un écran par exemple), elles apparaissent sous la forme d'un point matériel. Mais lorsqu'elles se déplacent, elles le font sous la forme d'une onde ! Ainsi, dans certaines expériences, l'on peut montrer qu'une seul particule peut emprunter deux chemins à la fois (comme une vague peut se propager dans deux canaux parallèles). Le problème est que lorsque la particule onde rencontre l'écran, elle se "réduit" d'un coup pour devenir un point matériel sur l'écran, et c'est cette"réduction du paquet d'ondes" qui est totalement non calculable, ce qui empêche de connaître à l'avance le point d'arrivée d'une particule. Ce phénomène est l'un des grands mystères de la science actuelle. La majorité des physiciens pensent que les lois de la nature ne peuvent permettre à un observateur d'obtenir plus de renseignements sur la façon dont la particule effectue cette transition. Penrose pense, au contraire, qu'un jour une nouvelle physique, capable d'intégrer une dimension "non calculable" pourra permettre de mieux comprendre le phénomène de la réduction du paquet d'ondes. C'est seulement alors que nous pouvons mieux comprendre le fonctionnement de l'esprit, car en analysant, avec le biologiste Stuart Hameroff, la structure des neurones, Penrose montre que certains de leurs composants, les microtubules, ont des caractéristiques telles que des phénomènes quantiques peuvent s'y dérouler et influencer le fonctionnement des neurones. Ainsi, l'activité neuronale serait "doublée" par une activité plus subtile, située dans les microtubules. Les observations que nous faisons actuellement sur le cerveau et qui portent sur les neurones ne nous donneraient accès qu'à "L'ombre de l'Esprit" et non à l'esprit lui-même, dont la compréhension nous échappera tant qu'une physique nouvelle ne nous permettra pas de comprendre les phénomènes quantiques qui, selon Penrose (mais ce n'est encore qu'une hypothèse) se déroulent dans les microtubules. Les trois Mondes et les trois Mystères Pour Penrose, il y a trois mondes : 1) Le monde des objets physiques regroupant aussi bien les tables et les chaises que les étoiles ou les électrons. 2) Le monde de nos perceptions et de nos émotions conscientes. 3) Le monde platonicien des formes mathématiques . [4] Il regroupe non seulement tous les nombres, tous les "objets" mathématiques mais aussi tous les théorèmes. Bien des personnes nient que le monde 3 ait une existence indépendante de l'esprit humain. Mais pour Penrose, on n'invente pas un théorème comme celui de phythagore sur les côtés d'un triangle rectangle. Le théorème était déjà là, de toute éternité, attendant qu'on le découvre. Les mathématiques sont aussi perçues comme étant un contient à découvrir. L'instrument de la découverte, c'est l'esprit. S'il existe des intelligences extraterrestres, elles aborderont peut-être les mathématiques par des voies différentes de nous mais elles retrouveront les concepts que nous avons découvert de la même façon que si l'on commence la découverte de l'Afrique par Alger ou par Le Cap, l'on finit forcément un jour ou l'autre par découvrir le Lac Tchad. Tout l'ouvrage de Penrose et toute sa quête peuvent finalement se résumer à une exploration des trois mystères qui constituent les liens entre ces trois mondes.Comment le monde 1, celui des objets physiques, peut-il générer le monde 2, celui de la conscience ? Penrose pense que c'est par l'intermédiaire de processus quantiques profondément enfouis dans nos cellules mais n'en a encore aucune preuve. Comment le monde 2, celui de notre conscience, entre t-il en contact avec le monde 3, celui des objets mathématiques ? Pour Penrose, nous avons une sorte d'accès direct à ce monde platonicien. C'est pour cela que l'homme a des capacités supérieures à tout ordinateur. Dès son plus jeune âge, un enfant a accès au monde platonicien, par exemple lorsqu'il comprend qu'il y a quelque chose de commun entre trois bonbons, trois canards et trois gifles. Pourtant, nulle part sur terre le chiffre trois n'existe à l'état pur. Prendre conscience de ce qu'est un nombre, c'est déjà être en contact avec ce monde platonicien. Les grands mathématiciens témoignent tous du fait que leurs grands découvertes ont le plus souvent résulté d'une intuition soudaine plutôt que d'une longue suite de calculs. Pour Penrose, de tels hommes ont un accès privilégié au monde platonicien. Comment le monde platonicien peut-il modéliser le monde 1, le monde des objets physiques ? On parle souvent de la "déraisonnable efficacité des mathématiques". Depuis la nuit des temps, l'homme était persuadé de vivre dans un espace euclidien, définit par le fait que deux droites parallèles ne se rejoignent jamais. Il existait bien des géométries non euclidiennes comme les espaces "courbes" de Riemann, où les deux droites parallèles se rejoignent à l'infini. Mais on considérait cela comme une simple curiosité intellectuelle. Pourtant, Einstein a montré que c'était les espaces courbes de Riemann et non les espaces "plats" d'Euclide qui permettaient de donner une description fidèle de l'univers ! Pourquoi donc, parmi les objets "éthérés" du monde 3, y en a t-il qui décrivent avec une telle précision des objets "réels" du monde 1 ? Pour Penrose, c'est là une des clés qui doivent nous faire comprendre que si nous les considérons ensemble, les trois mondes et les trois mystères forment, regroupés, un seul monde dont nous ignorons encore la véritable nature. Le commentaire Rares sont les artistes ou les scientifiques qui, comme Einstein, rentrent dans la légende de leur vivant. Beaucoup plus fréquents sont des cas comme ceux de Van Gogh ou Mozart. Roger Penrose appartient à cette seconde catégorie. Même si son nom est inconnu d'une grande partie du public, et cela malgré le succès de son premier livre, les professionnels de la physique, de l'astrophysique, des mathématiques vous confirmeront tous qu'il s'agit d'un des plus grands esprits vivant actuellement. C'est la raison pour laquelle la parution, en 1989, de "L'esprit, l'ordinateur, et les lois de la physique" fit l'effet d'une bombe. Un homme de la grandeur de Penrose osait affirmer que le "roi était nu" (le tire anglais "Le nouvel esprit de l'empereur", fait allusion "aux nombreux habits" de l'empereur, que tout le monde admirait, alors que l'empereur en question était nu). Le roi, c'est "l'intelligence artificielle forte", celle qui prétend qu'un jour, une machine pourra imiter et même surpasser toutes les qualités humaines. Comme le disait à l'époque le célèbre chroniqueur scientifique Martin Gardner : "Le livre de Roger Penrose représente l'attaque la plus efficace jamais portée à l'encontre de l'intelligence artificielle forte. Au cours des siècles passés, nombreux sont ceux qui se sont opposés à l'idée réductionniste selon laquelle l'esprit ne serait qu'une machine fonctionnant en vertu des lois de la physique. L'offensive menée par Roger Penrose est beaucoup plus convaincante du fait qu'elle repose sur des informations dont ne disposaient pas ses prédécesseurs". La réaction de ses collègues fut telle que l'e-mail de Penrose fut bloque par des milliers de courriers électroniques venus du monde entier ! Mais si Penrose affirmait dans ce premier ouvrage qu'il était possible de démontrer que l'esprit humain reposait sur des mécanismes non-calculables, c'est seulement dans son deuxième ouvrage, "Les ombres de l'esprit", qu'il en fournira la démonstration. De plus, il décrira les 20 objections qui lui furent adressées et les démolira une par une! Autant "L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique" déclencha un "chaud" mondial dans la communauté scientifique, autant "Les ombres de l'esprit" furent accueilli en silence, comme si les contradicteurs de Penrose étaient paralysés par la force de sa logique. Toujours est-il que personne n'a pour l'instant trouvé une faille dans cette démonstration. Voila pourquoi, si Penrose a raison, "Les ombres de l'esprit" pourront prendre place dans les grandes Suvres qui firent progresser la connaissance humaine, comme le firent, en leur temps, les "Pincipia mathematica" d'Issac Newton. Car Penrose pense avoir réalisé l'impensable : une démonstration mathématique selon laquelle l'esprit humain ne reposerait pas uniquement sur des actions descriptibles... par les mathématiques. Ce qu'il montre, c'est que, dans certains cas, la perception de la vérité en mathématiques, par des mathématiciens, ne peut le produit d'une procédure de calcul, quelle qu'elle soit. On peut se demander pourquoi un résultat aussi spécialisé, obtenu dans un domaine aussi technique, pourrait avoir une importance aussi extraordinaire. C'est parce que si "le propre de l'homme" peut se réduire à un ensemble de calculs, l'avenir qui nous attend est bien celui de "garçons de course des robots du futur". Si, par contre, il y a dans l'homme une dimension "non calculable", "spécificité humaine" sera préservée et l'avenir de l'espèce humaine reste ouvert. Or, dans des domaines comme l'Art, l'intuition, l'amour, l'éthique, aucune "démonstration" scientifique n'est possible. On ne peut démontrer si la réalisation de Guernica de Picasso ou le Requiem de Mozart reposent ou non sur une série de calculs. Par contre, si dans un domaine aussi "formalisé" que la notion de vérité en mathématiques (à priori si quelque chose est mathématiquement vrai, c'est qu'il y a une démonstration qui le prouve), on peut démontrer que la perception de la vérité par l'homme ne repose sur aucune procédure de calcul, échappe à toute tentative de formalisation, alors il sera logique d'extrapoler le fait que dans beaucoup d'autres domaines (y compris dans la vie de tous les jours lorsque nous prenons des décisions qui semblent guidées par notre "intuition") l'homme utilise cette même faculté reposant sur ces procédures "non calculables". Voilà l'enjeu des "Ombres de l'esprit". La voie qu'utilise Penrose, celle qui part du fameux théorème de Gödel (cf. encadré 2) n'est pas nouvelle. Gödel lui-même avait insisté sur le fait que le cSur de sa démarche était que "la notion de vérité mathématique est plus vaste que la notion de démontrabilité" mais n'en avait pas tiré une conclusion aussi claire que Penrose, se contentant d'affirmer que "croire que l'esprit humai n'est pas distinct de la matière est l'un des préjugés de notre époque". Avec la démonstration de Penrose, notre civilisation possède peut-être une première certitude concernant l'une des questions les plus fondamentales qui soient, celle portant sur la nature de l'esprit humain. Bien que paraissant être très théorique, la conclusion de Penrose est d'une importance cruciale pour tout manager, tout responsable de ressources humaines, et même pour tout salarié. Si l'homme utilise bien des procédures qu'aucune machine ne peut imiter dans ses réflexions, l'organisation d'une entreprise doit favoriser les situations utilisant un tel mode de fonctionnement plutôt que la mise en place de procédures inspirées de l'informatique où l'entreprise est entièrement modélisée. Les motivations des hommes ne peuvent définitivement plus être perçues comme étant uniquement d'ordre quantitatif et il faut intégrer dans ce domaine d'autres dimensions, plus qualitatives. Enfin, chaque salarié doit essayer d'identifier les moments où il effectue une tâche qui ne peut être réduite à un calcul, aussi complexe soit-il. Car ce sont elles qui constituent la valeur qu'il apporte réellement à l'entreprise et garantissent la survie de son emploi, toutes les autres taches pouvant être informatisées. Elles le seront forcément un jour... Professeur de Mathématiques à l'Université d'Oxford, Roger Penrose a démontré, avec Stephen Hawking, un théorème fondamental concernant la structure de l'Univers qui implique qu'il existe, sur des trous noirs et au moment du Bing Bang, des "singularités" au cours desquelles les lois de la physique ne s'appliquent plus. Il est à l'origine de la découverte d'une nouvelle forme d'organisation de la matière : les quasi cristaux. Il a crée des "objets impossibles" comme le "triangle de Penrose" qui ont inspiré des artistes tel (s) que M.C Escher. "Les ombres de l'esprit" constitue son second ouvrage destiné au grand public. Le premier, "L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique" fut un best seller international. Les phrases de l'auteur La conclusion à laquelle j'ai abouti est que quelle que soit la forme d'activité cérébrale qui soit responsable de la conscience, elle dépend d'une physique irréductible à toute stimulation algorithmique. La conscience faisant partie de notre univers, toute théorie physique qui ne lui accorde pas une place convenable, ne peut qu'échouer à donner une véritable description de cet univers. J'affirme qu'il n'existe encore aucune théorie physique, biologique ou informatique qui puisse expliquer la conscience et l'intelligence qui en découle. Les idées clés 1) Aucun ordinateur ne pourra imiter à la perfection l'esprit humain parce qu'on ne peut réduire les activités de celui-ci à des calculs. 2) Nous n'avons pas encore les outils théoriques permettant de comprendre ce qu'est la conscience, une nouvelle physique étant nécessaire pour cela. 3) Les nombres et les autres objets mathématiques ont une existance indépendante de l'esprit humain ; nous les découvrons mais nous ne les créons pas. Le résumé Devant les progrès extraordinairement rapides des ordinateurs, de plus en plus de chercheurs affirment que, bientôt, les robots égaleront puis dépasseront les hommes dans tous les domaines. Cette prédiction est basée sur l'hypothèse que tous nos sentiments, nos idées, nos intuitions sont réductibles à des calculs. Roger Penrose affirme qu'une grande partie de nos comportements ont une base non algorithmique, c'est à dire qu'ils ne reposent pas sur une procédure de calcul. Il va le démontrer dans un domaine, où, pourtant, les algorithmes sont rois : celui de la démonstration de la vérité d'une proposition mathématique. On possède ainsi une preuve qu'il y a une différence de nature entre le fonctionnement de la conscience de l'homme et celui des ordinateurs, mais aussi que la science actuelle ne peut comprendre ce qu'est la conscience. Pour progresser dans cette direction, il faudrait mettre au point une nouvelle physique capable d'intégrer des événements non calculables.[1] Ce test a été mis au point par l'un des fondateurs de l'informatique, Alain Turing, pour répondre à la question : quand pourra-t-on dire qu'un ordinateur a atteint un niveau de connaissance comparable à l'être humain ? Pour cela, un homme pose des questions par écrit à deux interlocuteurs qu'il ne voit pas. En fonction des réponses, il doit deviner qui est l'homme et qui est la machine. S'il échue, l'ordinateur participant au test doit être reconnu comme possédant une conscience équivalente à celle de l'homme. [2] A la fin de sa vie, Einstein disait que ses propres travaux n'avaient plus d'importance mais qu'il se rendait à son bureau pour avoir l'honneur de parler à Kurt Gödel. Il ne reste, hélas, rien des discussions entre deux des plus grands esprits du siècle ; se parlant tous les jours, ils ne s'écrivaient jamais ! Einstein fut le parrain de Gödel lorsque celui-ci demanda la nationalité américaine. En logicien intransigeant, G¨ödel étudia la constitution américaine avant de prêter serment. Lorsque le juge affirma que la constitution était un ensemble cohérent permettant de faire face à toutes les éventualités, Gödel s'empressa de lui démontrer qu'elle contenait une faille logique permettant d'instaurer légalement une dictature aux Etats-Unis... Einstein eut le plus grand mal à l'arrêter et à lui faire obtenir la nationalité américaine ! [3] Ce célèbre théorème, qui est considéré comme l'un des plus grands résultas théoriques obtenus par l'esprit humain, est une sorte de démonstration mathématique... des limites de ce que l'on peut démontrer avec les mathématiques. Il nous dit que "tout ensemble d'axiomes contient une proposition indécidable", c'est à dire une proposition qui n'est ni vraie ni fausse. Non content de démontrer ainsi que tout système logique contient une faille, il démontre ensuite que chacun de ces systèmes contient également une proposition vraie, mais indémontrable dans le système considéré. Une autre manière d'exprimer ce résultat est de dire qu'un système logique est soit incomplet soit incohérent, aucun ne pouvant à la fois être complet et cohérent. [4] Pour Platon, le monde véritable est celui des "idées pures". Ainsi le vrai cercle ou le vrai triangle n'existent pas sur terre. L'idée du cercle est donc plus vraie que tout cercle physiquement réalisé. De même l'idée du lit "dans la pensée créatrice de Dieu" est plus vraie que tous les lits réalisés par des artisans qui sont eux-mêmes plus vrais que tous les lits peints par les peintres. Idem en ce qui concerne l'idée du cheval par rapport à tous les chevaux, etc... De plus, une connexion existerait entre le monde des idées et l'esprit humain. Si ces conceptions, très générales, ont donné lieu à des débats philosophiques contradictoires au cours des siècles, les mathématiciens ont souvent défendu l'hypothèse qu'elles s'appliquaient réellement dans leur domaine à eux. |