Jean Staune

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Le Blog de Jean Staune

La Tentation de l’Homme-Dieu

2/25/2016

6 Commentaires

 
Photo
                                           La Tentation de l’Homme-Dieu
                                            de Bertrand Vergely
                                            Edition le Passeur
 
                                            Note de lecture par Jean Staune
 
L’Homme-Dieu c'est celui qui, comme Edgar Allan Poe, « est révolté qu'il puisse y avoir un être supérieur à lui dans l'univers ». C’est Protagoras qui, en disant que « l'homme est la mesure de toute chose » affirme que l'homme peut décider de tout, y compris de ce qui est bien et de ce qui est mal, mais aussi Nietzsche, qui annonça « la mort de Dieu » et affirma la « volonté de puissance » de l'homme (N'oublions pas que le sous-titre original de ce projet de Nietzsche était « essai sur l’inversion de toutes les valeurs »).
Au nom de la lutte contre l'oppression représentée par les religions, la modernité annonce avec jubilation que l'homme est désormais libéré des chaînes dans lesquelles Dieu l’avait emprisonné.
Si les dérives de cette démarche prométhéenne sont aujourd'hui bien connues, avec le transhumanisme qui nous annonce « la mort de la mort », soit par l'intermédiaire de traitements biologiques, soit parce que les consciences des êtres humains seront téléchargées dans des robots à notre image qui nous permettront de vivre éternellement, la grande originalité de Bertrand Vergely est de regrouper des critiques de trois aspects de la modernité qui nous paraissaient constituer des champs profondément séparés les uns des autres.
 
Cette nouvelle religion (car c’en est une, même si il s’agit d’une religion athée, un Ray Kurzweil, par exemple, nous promettant d’accéder à la « vraie » immortalité, là où les religions ne nous proposent qu’une fausse promesse d’immortalité, se posant donc directement en concurrence avec elles) du « no limit » qui nous affirme que l'homme peut faire ce qu'il veut de lui-même et de son environnement est rapprochée de notre désir d'égalité mais également de sécurité. L'auteur va nous montrer qu'il s’agit de trois faces, toutes les trois trompeuses, d'un même projet qui prétend travailler au bonheur de l'humanité et qui prépare en fait pour elle des malheurs peut-être encore supérieurs à ceux qu'elle a traversé avec les terribles totalitarismes du XXe siècle.
Dès la première page du premier chapitre, il rassemble trois faits à priori sans aucun lien les uns avec les autres :
- en décembre 2014 un neurochirurgien italien, Sergio Canavero, a affirmé qu'il préparait la transplantation de la tête d'un homme atteint d’une grave maladie dégénérative sur le corps d'un autre.
- le 23 avril 2013 l'Assemblée nationale française a adopté la loi ouvrant la possibilité au mariage pour tous, et, à terme, aux personnes de même sexe d'adopter un enfant.
- en février 2005 le Parlement solennellement réuni en congrès a inscrit le principe de précaution dans la constitution.
Toute la force de l'ouvrage de Bertrand Vergely va être, en partant de ce qui apparait comme trois sommets émergés de trois icebergs différents, de nous montrer qu'il y a, caché au fond de la mer, hors de nos regards quotidiens, un socle unique qui travaille au malheur de l'humanité en prétendant faire son bonheur.
 
Nous avons tous été atteint dans notre vie par la perte d'un être cher. Quand des parents subissent le traumatisme terrible de perdre un enfant en bas âge, ne serait-il pas formidable de pouvoir le ressusciter en le clonant ? Il y a tant de choses à faire dans la vie, si on pouvait vivre 200 ans en bonne santé pourquoi le refuser ?
Mais voilà, la mort fait partie de la vie ; être immortel, nous faire remarquer Bertrand Vergely, entraînerait, par un paradoxe étonnant mais bien compréhensible, la mort de l'humanité. Si il n’y avait plus de mort, il n'y aurait plus de naissances possibles et donc il n'y aurait plus de possibilité pour l'humanité de se renouveler. Imaginons le cauchemar que représenterait une terre peuplée pour l'éternité des mêmes personnes amenée à se rencontrer encore et toujours ! La fin est nécessaire à toute chose, un livre qui n’aurait pas de fin ne pourrait simplement pas être lu.
Ainsi vouloir faire disparaître la mort, c'est agir contre la vie, c'est, en voulant lutter contre la mort individuelle, favoriser une mort bien plus grande encore, une mort de ce qui constitue l'essence de l'humanité.
C’est la même méthode de « retournement » que va employer Bertrand Vergely pour montrer que ceux qui, enivrés par les possibilités qui s'offrent à une civilisation où l'homme est enfin libre, n’ayant plus ni Dieu ni maître, travaillent en fait exactement à des buts opposés à ceux ils prétendent poursuivre.
Prenons l'exemple de l'éducation. Il est bien sûr fondamental d'aider les élèves venant des milieux défavorisés ou moins doués à avoir le maximum de chances de progresser dans leurs cursus éducatif pour partir dans la vie active avec le meilleur bagage possible. Mais lorsque l’on interdit le redoublement, que l’on décrète qu'il faut que 85 % d'une classe d'âge obtienne le bac, lorsque l'on promet la « réussite pour tous », on lutte contre l'objectif que l'on veut atteindre.
« L'école peut aider les élèves à réussir. Elle ne peut pas faire que tous réussissent. Supprimons l’écart qu’il y a entre l'aide à la réussite et la réussite pour tous : l’école s’autodétruit. Ce qui est logique.
Mettons en place un système où un élève réussira de toute façon, quel que soit son niveau. N’ayant jamais connu ni vraies épreuves ni échecs, il s’écroulera à la première épreuve et au premier échec, rien ne lui ayant montré ses limites. Quand on met un tel système en place, on ne peut que créer un effet pervers augmentant la faiblesse de l'élève en difficulté au lieu de la diminuer »[1].
 
Nous sommes là au cœur du second point de la démonstration de Bertrand Vergely : « l'égalité pour tous » peut se retourner contre la vraie égalité et elle est un autre signe, après le refus de reconnaître nos limites biologiques, de cet orgueil démesuré de l’Homme-Dieu, car  celui-ci croit pouvoir décréter l'égalité entre le travailleur et le paresseux, entre l’élève médiocre et l’élève doué, ou en affirmant, par exemple, qu’un couple de deux personnes du même sexe et un couple composé d'un homme et une femme sont équivalent.
Comme partout ailleurs, là aussi on part d'un bon sentiment : pourquoi ne pas donner des droits supplémentaires à des personnes qui constituent des minorités parfois fortement persécutées (y compris, dans certaines civilisations et à certaines époques, jusqu'à la mort) pour leur orientation sexuelle ?
Mais quelques soient les progrès réalisés dans les opérations « transgenre » on ne peut pas faire que deux femmes puissent avoir un enfant, ni qu'un homme, même transformé en femme puisse mettre au monde.
Certes, et c'est bien là que les adeptes du « no limit » au plan biologique rencontrent les défenseurs de cette idée « d'égalité pour tous », on vous répondra que ceci n'est qu'une question de temps et que les meilleurs biologistes du transhumanisme travaillent déjà avec ardeur sur ces questions, qu’avec un peu de clonage pour les femmes, et de greffe d’utérus chez les hommes, on va remédier à ces inégalités intolérables générées par la nature.
Comme dans beaucoup d'autres domaines qu’il va pointer du doigt, c'est l’expression « pour tous » qui est ici hautement critiquable, nous dit Bertrand Vergely. Il ne s'oppose pas à l'idée que la loi puisse établir un mariage spécifique pour les homosexuels.
Mais aux yeux du politiquement correct actuel, cela aurait été bien trop discriminant, cela aurait « stigmatisé » une minorité. Non, l’égalité doit être absolue. Le mariage doit donc être « pour tous ».
Mais tout d'abord cela est mensonger ; on a en effet (bien heureusement !) refusé à un chef tribal de Mayotte d’épouser ses six épouses alors qu’il prétendait le faire au nom du mariage « pour tous »… qui n'est donc pas totalement pour tous.
Ensuite, un spécialiste de l’intelligence artificielle comme David Lévy nous prédit que, d’ici 2050, des états américains passeront des lois autorisant le mariage entre êtres humains et robots[2].
Les couples homosexuels de demain ne vont-ils pas souffrir de voir leur mariage ravalé au même niveau que celui du mariage entre l'homme et le robot, comme les couples hétérosexuels d’aujourd’hui ont pu souffrir de voir leur mariage ramené au même niveau que celui de couples homosexuels ? Ne vaudrait-il pas mieux créer dès le départ des catégories « mariage classique », « mariage homosexuel », « mariage humain-robot » avec des attributs différents (par exemple pour l’adoption, car répondre au désir d’enfant de deux hommes c’est un bien, mais c’est priver un enfant de sa mère, ce qui est créer un mal supérieur au bien que l’on veut accomplir) au lieu de vouloir tout fusionner sous la même bannière ?
 
La « célébrité pour tous » que permet la téléréalité ne fait-elle pas rêver des millions de jeunes, ne démocratise-t-elle pas le statut de « célébrité » réservé auparavant à quelques stars mythiques d’Hollywood ? Là aussi c'est une fausse bonne idée : si tout le monde est célèbre plus personne ne sera célèbre !
 
La tolérance, voilà une idée merveilleuse qui constitue la base même du vivre ensemble. Mais la « tolérance pour tout » est mortifère nous démontre Bertrand Vergely, car elle porte en elle la destruction de l'idée même de vérité.
Par exemple, ceux qui oseront affirmer que deux hommes ou deux femmes ce n'est pas la même chose qu'un homme et une femme, seront immédiatement taxé «d'intolérance» et au nom de cette intolérance seront stigmatisés, sommés de se taire et de sortir de l'espace public, celui des journaux télévisés, des talk shows bien-pensants et des hebdomadaires respectables.
Comme le fait justement remarquer l'auteur, ces champions de la tolérance n’ont aucune tolérance pour leurs adversaires : une fois qu'ils auront coller sur leur front l'étiquette « intolérant » ils affirmeront «pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance », devenant ainsi les dignes héritiers de Saint-Just et de ce qu'il y avait de pire dans la révolution française, avec sa fameuse proclamation « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».
Quand on classe dans les ennemis de la tolérance ceux qui rappellent des vérités incontestables, les totalitarismes de la pire espèce ne sont pas très loin.
 
La laïcité est une belle idée. Elle se trouve déjà dans la Bible, « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu[3] » et dans des traditions non occidentales comme en Chine, où les religions n'ont jamais joué de rôle politique.
Mais elle est totalement dévoyée quand un responsable politique tel que Vincent Peillon, ministre de l'éducation de surcroît, déclare le 6 novembre 2013 vouloir créer une religion laïque afin de ne pas laisser au catholicisme le monopole de la religion, de la morale et de la spiritualité, violant ainsi ouvertement le principe de séparation entre l'Église et l'État.
On passe ainsi d'une définition de la laïcité voulant dire « je respecte toutes les religions » à une définition de la laïcité équivalente à « je suis contre le catholicisme »[4].
 
En fait Bertrand Vergely retrouve la grande intuition d'Antoine de Saint-Exupéry selon lequel le principe d'égalité s’abâtardit en principe d’identité si l'on veut fonder l’égalité dans le cadre d'un humanisme matérialiste en se passant de toute forme de transcendance. « Ma civilisation est héritière des valeurs chrétiennes. Je réfléchirai sur la construction de la cathédrale, afin de mieux comprendre son architecture.
La contemplation de Dieu fondait les hommes égaux parce qu’égaux en Dieu et cette égalité avait une signification claire. Car on ne peut être égaux qu’en quelque chose. Le Soldat et  le capitaine sont égaux en la nation.
L’égalité n’est plus qu’un mot vide de sens s’il n’est rien en quoi nouer cette égalité.
(…) La démagogie s’introduit quand, faute de commune mesure, le principe d'égalité s’abâtardit en principe d'identité. Alors le soldat refuse de saluer le capitaine, car le soldat en saluant le capitaine honorerait un individu et non la Nation»[5].
 
Le principe de précaution paraît lui aussi être une excellente idée : ne faut-il pas forcer l'homme à penser aux conséquences de ses actes, n'est-ce pas la base même d’un comportement éthique ?
Mais là aussi, comme pour la tolérance, comme pour la réussite scolaire et comme pour bien d'autres thèmes abordés par l'auteur, la généralisation de ce principe est totalement mortifère pour l'humanité.
Vivre c'est prendre des risques, ne plus prendre de risques c'est ne plus vivre !
Notre environnement est de plus en plus incertain, c'est la théorie du chaos qui nous l'enseigne et cela vient renforcer la démarche de Bertrand Vergely : dans un monde où il y a de plus en plus de variables en interaction, le nombre de choses imprévisibles ne peut que croître.
Mais justement, en refusant qu’il y ait quelque chose au-dessus de lui, l'Homme Dieu refuse également la notion de fatalité : tout drame doit avoir un responsable. Si un enfant se suspend à un panier de basket et que celui-ci le tue en tombant sur lui, le maire de la commune sera condamné, il n'avait qu'à vérifier la fixation de tous les panneaux de sa commune.
Ce principe de précaution va de pair avec la montée du « juridisme » dans notre société. Dans mon livre « La science en otage », paru il y a plus de cinq ans, je révélais ce chiffre terrifiant : 30 % du prix des nouveaux produits aux États-Unis est constitué d'une réserve de sécurité destinée à faire face aux procès qui seront intentés contre le fabricant ! Bertrand Vergely ne connaît sans doute pas l’histoire du chat dans le four à micro-ondes qui illustre de façon particulièrement humoristique mais aussi dramatique (car il faut selon moi en pleurer plutôt qu’en rire) cette nouvelle tendance.
Lors de l'arrivée des fours à micro-ondes une vieille dame américaine qui, jusque-là avait l'habitude, après l'avoir lavé, de mettre pendant 30 secondes au four son chat pour sécher ses magnifiques poils angoras, le mis dans un four à micro-ondes qui tua instantanément le pauvre animal. Elle se retourna contre le fabricant et obtint un million de dollars de dommages et intérêts, sous le prétexte que le fabricant n’avait pas mentionné sur sa notice le non usage de ces nouveaux fours pour ce type d’activité. Depuis aux États-Unis (l’Europe est encore préservée en partie de cette folie juridique, mais pour combien de temps ?) les notices de four à micro-ondes se doivent de préciser qu'il est interdit de mettre des animaux domestique dans ces fours, pour éviter aux fabricants de perdre d'autres millions de dollars.
Comme le dit très bien Vergely « Descartes explique qu'il vaut mieux agir et faire des erreurs que de ne pas agir par peur de faire des erreurs. À force de nier la fatalité au nom de la responsabilité en exigeant que ceux qui agissent prévoient l'imprévisible, on renonce à agir par crainte de faire des erreurs et de se retrouver en prison. La responsabilité et le principe de précaution sont en train de tuer l'action. Hier être responsable c'était agir. Aujourd'hui être responsable c'est renoncer à agir»[6].
 
Prenons un dernier sujet parmi tous ceux que traitent cet ouvrage à la fois si petit et si complet : le droit de mourir dans la dignité.
Là aussi nous dit l'auteur, il y a erreur sur le terme. Il ne s’agit pas de dignité mais de fierté. On ne veut pas imposer aux autres et à soi-même l'image de sa dégradation. Kant, lorsqu'il veut prendre un exemple de ce qui constitue pour lui la dignité, prend celui d'un homme qui avait des raisons de se suicider et qui justement ne le fais pas. Bertrand Vergely nous dit « il y a quelque chose d'inouï dans l'homme. Quand on a compris cela, on se doit de vivre, quelles que soient les circonstances. Aussi la dignité consiste-t-elle, non pas à mettre fin à ses jours pour conserver une certaine fierté à l’égard de soi et de son image, mais de vivre pour tâcher d'être à la hauteur de ce qui n'a pas de prix en soi. Être digne ce n'est pas être fier de soi ou avoir une image décente, mais être digne de l'homme. Cette pensée de Kant est somptueuse. Quand nous faisons de la dignité un droit, nous en sommes loin »[7].
La généralisation du droit à mourir dans la dignité qui peut conduire, comme c'est déjà le cas dans certains pays, au suicide assisté même en absence de maladie grave, peut nous amener à détruire la dignité de l'homme en banalisant son existence, en niant ce qui le fait être unique.
Réclamer le droit de mourir dans la dignité c’est donc aller contre la dignité de l'homme !  Voici encore une de ces démonstrations « en retournement » réussies par Bertrand Vergely, même si on pourrait lui reprocher ici de ne pas traiter le cas de la souffrance physique extrême qui peut exister dans certains cas de demande d’euthanasie.
 
Vouloir rendre l'homme immortel, c'est nier la réalité de la vie.
Décréter égaux ceux qui ne le sont pas, c’est nier la réalité de la nature.
Vouloir tout contrôler dans son environnement en niant la croissance de l'imprévisible, c'est nier la réalité du monde qui nous entoure.
Cette triple négation de la vie, de la nature et du monde, qui est accomplie simultanément par l'Homme Dieu, ne peut qu'avoir des conséquences funestes pour l'humanité.
Quand on nie la réalité elle finit toujours, comme un boomerang, par vous revenir en pleine figure !
On comprend maintenant, devant la cohérence logique qu’il y a pour l'Homme-Dieu à accomplir de façon simultanée cette triple négation, comment se regroupent les trois aspects de l'ouvrage de Bertrand Vergely. Comment l'homme qui refuse ses limites, l'homme qui prône l'égalité pour tous et l'homme qui promeut le principe de précaution ne constituent en fait qu'un seul et même homme, l'Homme Dieu, et un seul et même projet, celui, prométhéen mais voué à l’échec, de vouloir contraindre ce qui est à sa volonté. On ne peut que trop prévoir hélas que tout ceci s'achèvera dans une folie collective, comme la vie de Nietzsche, avec sa volonté de puissance, s'était achevée dans la folie.
 
Il est beau d'aspirer à la liberté mais l'homme qui n'a ni Dieu ni maître n'est pas libre, il est l'esclave de lui-même, c'est aussi l'une des grandes démonstrations de Bertrand Vergely dans cet ouvrage.
Aucune des grandes innovations dont la modernité est si fière et que nous devons accepter sous peine d'être ringard, intolérant et exclu de l'espace et du débat public n'échappe à la déconstruction de Bertrand Vergely.
 Le mariage pour tous, la réussite pour tous, la célébrité pour tous,  la tolérance pour tout, la laïcité à la française, le principe de précaution, l’euthanasie, la mort de la mort sont ainsi passés à la moulinette d'une démarche qui se situe au cœur de la philosophie vraie, celle qui aborde les questions fondamentales pour l'être humain et qui le fait dans un langage clair, susceptible d'être compris de tous.
On le suit d’étapes en étapes avec une sorte de jubilation. On se dit, à chaque nouveau thème abordé, « non, il ne va pas oser aussi cela ! », eh bien, si, il ose tout!
 
Notre société a été pendant plusieurs siècles étouffée par un conservatisme qui est allé de pair avec une grande hypocrisie, cela étant possible à cause des dérives de ceux qui, à l'image du Grand inquisiteur de Dostoïevski, ont « transformé une religion d'amour en religion de pouvoir » comme nous le rappelle Bertrand Vergely. La déconstruction de cette société était une bonne chose, mais elle a laissé la place au duo infernal Protagoras-Nietzsche. Aujourd'hui, ce qui doit être déconstruit ce sont tous ces thèmes, qui font d'un homme autoproclamé maître et possesseur de la nature, un être schizophrène se voulant sans limite dans un monde où les limites sont partout, que ce soit en terme de nature, en terme de d'égalité ou de prédictibilité.
 
Mais l’énorme apport de Bertrand Vergely, c'est de faire cette critique au nom du futur et non pas au nom du passé, ou au nom d'un dogme ou d'une morale (même s’il est c'est clair que sa conclusion retrouve bien évidemment non seulement la morale chrétienne mais aussi celles de nombreuses autres traditions de l'humanité - il mentionne au passage que la sagesse chinoise nous donne une bonne idée de la mesure quand elle enseigne que l'équilibre à travers l'harmonie des contraires est à la base de tout[8]).
 
Non, il le fait au nom de ce que cette révolution d'un humanisme sans Dieu prétendait elle-même faire, c'est à dire créer les conditions pour le bonheur de l'humanité. Tout ce qui dans cette démarche nous apparaît à court terme comme une bonne idée se révèle comme étant mortifère à long terme nous avertit Bertrand Vergely. Les buts même poursuivis par l'humanisme athée nécessitent pour être atteint de faire l’inverse de ce que préconise cet humanisme athée ! C'est cette démonstration qui fait de cet ouvrage un ouvrage essentiel du siècle qui commence et qui contribue à définir une « transmodernité », car il s’agit ici d’une démarche qui va bien au-delà de la déconstruction que pratique la postmodernité, puisqu’elle nous fournit les bases d’une reconstruction qui a son originalité propre, même si elle utilise d’anciennes fondations.


[1] Bertrand Vergely, ouvrage cité, pages 81-82.

[2] http://www.marieclaire.fr/,femme-robot-le-fantasme-devient-realite,20161,686831.asp#?slide=3

[3] Marc 12, 14-17

[4] Bertrand Vergely, ouvrage cité, pages 98-99

[5] Pilote de guerre, Gallimard le livre de Poche, 1963, pages 224-225
 

[6] Bertrand Vergely, ouvrage cité, pages 123-124.

[7] Bertrand Vergely, ouvrage cité, pages 89-90.

[8] Bertrand Vergely, ouvrage cité, page 31.

6 Commentaires
Will
9/14/2016 21:34:27

Beaucoup de choses à dire...

C'est un article un peu risqué. Même si vous avez bien fait comprendre que la haine ne guide pas votre argumentaire et que vous ne recherchez que la discussion, on vous traitera de luddite, d'intolérant, de bigot, de religieux, voire de créationniste, dans cet ordre. Je trouve, et ce n'est que mon avis, que votre article, aussi bien intentionné soit-il (je partage votre inquiétude à plusieurs égards), contient plusieurs approximations car vous confondez la cause (la décadence et le narcissisme de notre monde) et un de ses symptômes les plus bénins (le transhumanisme).

Vous partez du transhumanisme pour ensuite dénoncer l'hyperjuridisme qui s'empare de notre société, et je pense ici que vous mélangez les catégories. Les leaders transhumanistes, Kurzweil en tête, sont souvent des geeks libertariens, qui non seulement abhorrent l'Etat et la loi, mais se considèrent aussi comme supérieurs au reste de la population, tels des prophètes auto-proclamés. C'est un croisement très étrange et très américain, entre l'individu anti-autorité, le dadaïste post-moderne et l'utopiste. Etant donné qu'ils ne considèrent l'Etat que comme un acteur parmi les autres, voire qu'ils le défient sans cesse, l'avocat et le juge ne doivent leur apparaître que comme des parasites trop gourmands en temps et en argent.
Maintenant, leur culte absurde fait des victimes ( http://scienceblogs.com/pharyngula/2016/03/08/extropians-kurzweil-libertarians-and-the-deluded-immortality-scam/ ) mais celles-ci, heureusement, ne se comptent pas par millions.
Je note d'ailleurs que Elon Musk, auquel vous accordez beaucoup d'attention, est un transhumaniste bruyamment assumé http://futurism.com/elon-musk-is-looking-to-kickstart-transhuman-evolution-with-brain-hacking-tech/
(d'ailleurs Pavel Durov comme Musk aiment Neo de Matrix ;) )

C'est une direction inévitable car ces individus ne croient pas au structuralisme. Il s'agit alors de laisser chacun créer sa propre nature, le slogan classique du « prendre en main notre évolution » qui est si utilisé dans la pop-culture. Tout obstacle est un obstacle matériel et profane, soit-il politique (impôts) ou biologique (changement de sexe). Celui qui s'oppose au transsexualisme est pire qu'un intolérant, c'est un luddite, un soviétique et un ennemi du Progrès qui sauvera l'Humanité, donc un ennemi de l'Humanité. Je ne suis même pas capable de dire si ce mode de penser est entièrement matérialiste, par son caractère absolu du profane, ou entièrement métaphysique, par l'importance accordée à la volonté. Le problème est que cette argumentation est imparable tant que nous resterons dans le paradigme existentialiste qui est le nôtre, où, pour reprendre l'expression de Sartre, l'existence précède l'essence. Déterminer l'essence selon nos désirs est un pouvoir délirant mais bien plus enivrant que la dictature la plus absolue. Et le transhumaniste vous dira, son argument préféré, que l'Homme qui fait du feu est déjà un transhumaniste, prenant de court les partisans de l'orthodoxie. J'ai lu sur un forum internet :

« To assume that aliens would be in any way like us is Human arrogance at it's finest. With a myriad of strange and different species on our world alone, whose right is it to say that aliens will be like Humanity? We evolved on our world because it was suited to microbial life, which gave way to increasingly more complex life. We could have just as easily evolved from avians, reptiles, or other types of animal instead of coming from primates. To assume that primate life, or life like primates, would become dominant on another world is ludicrous.

We create aliens in our own image because that makes them similar to us, but we should always keep in mind that alien life will be strange, and possibly horrifying if we ever do discover interstellar empires. They most likely won't fit our preconceptions of them, they could be so inhuman that no one would be able to comprehend them. In a Galaxy as vast as ours, there would be increasingly few aliens that would look like us. For example, there could be aliens that arose on a planet that, by all rights, should be uninhabitable, and yet they evolved and defied what we primates have discovered through science.

There is much we do not know about our Galaxy, so why assume anything about alien life? Indeed, even my assumptions can be considered arrogance on my part. Evolution does not follow a set guideline to what will and what will not arise on planets, it merely

Réponse
Will
9/14/2016 21:35:47

adapts to the circumstances. What if our world was not struck by an asteroid? What if dinosaurs, through millions of years of evolution, came to hold the sapience that we Humans take for granted? Would they too think that all alien life must be like them? »

Que répondre à cela ? Si l'extraterrestre est si différent, pourquoi ne pas nous transformer nous-mêmes ? Il est impossible de changer ce paradigme par le dialogue, tous les lobbies du monde vous poursuivront. Je disais tout à l'heure que le pouvoir de détermination de l'essence, même si imaginaire, est plus enivrant que la plus totalitaire des dictatures. Aurions-nous pu convaincre Hitler d'abdiquer et d'abandonner son fantasme alors qu'il s'était hissé au sommet tandis que nos moyens de pression sont nuls ?

Je pense que justement, l'hyperjuridisme de notre époque est le reflet de la défiance de la masse contre ces hauts idéaux égoïstes et arrogants. Personne ne sait où va notre société, et personne ne veut mourir pour rien. C'est pour cette raison que l'Occidental a, après tout, « si peur de la mort ». Au fur et à mesure que l'égoïsme (bien-nommée « décomplexion »), la consommation (bien-nommée « culture ») et l'anti-intellectualisme (bien-nommé « politiquement incorrect ») se développent, l'inhumanité se développe et c'est ainsi que l'on se retrouve avec des transhumanistes eugénistes et des néofascistes qui portent en eux la haine de la charité.

La Chine, dont l'Etat délivrait des tablettes funéraires qui seules pouvaient accorder le repos aux défunts, laïque ? Ce n'est pas parce que la conception chinoise de la religion, utilitariste et administrative, diffère largement de la nôtre que les Chinois possédaient l'esprit séculaire... Le Taoïsme entre autres était souvent le moteur des rébellions chinoises, comme celle des Turbans Jaunes. Quand au Christianisme dans sa variante catholique, c'est bien lui qui nous a apporté la fermeture de l'Europe, les Etats de l'Eglise, le césaro-papisme, l'Inquisition, la place de Jésus emparée par l'évèque de Rome... sans parler de la guerre ferme contre la démocratie menée de 1789 jusqu'à la première guerre mondiale. Tandis qu'en France, pendant la guerre de Cent Ans, on importait des idées certainement d'origine païenne sur le caractère sacré de la lignée royale, Ibn Khaldoun et d'autre oulémas refusaient au descendant des califes Abbassides sa revendication au trône car la stabilité de l'Etat et la justice du gouverneurs seules sont sacrées.
On me rétorquera à raison que le Christ n'a jamais approuvé ces massacres et ces intrigues de pouvoir. Mais Marx avait-il voulu des procès de Moscou et de la Révolution Culturelle ? On reconnaît l'arbre à ses fruits, et si heureusement l'Eglise s'est enfin ressaisie au cours du XXème siècle, ses intégristes se portent bien. En France, ils ignorent la simplicité, la bonté et vénèrent Renaud Camus. Si le Marxisme est à critiquer et a d'ailleurs été réformé, l'utilisation comme épouvantail des massacres de l'URSS est aussi injuste que l'assimilation du pape François à l'Inquisition.

La laïcité à la française n'est pas l'absence de religion mais le culte de Marianne et de l'Etat. Sans langue de bois, on appelle cela le fascisme, un fascisme que les associations de protection des droits de l'Homme ont bien du mal à tenir en laisse. Si le Dieu de notre pays est un Etat faible, prétentieux, frivole, intolérant voire aux relents aryanistes (n'oublions pas que la Légion d'Honneur a été donnée à Daniélou), alors la société le méprisera et ne fera que se déchirer davantage. Il aurait fallu une laïcité à l'américaine, où Dieu, sans religion, est invoqué et forme le filtre où chacun peut poser les valeurs qui lui sont chères, mais même ce Dieu est dévoré par les intégrismes protestants. Chaque société a besoin d'un sacré, même l'Union soviétique en possédait un, le futur radieux et sa Pravda. Nous autres Occidentaux, nous ne possédons rien de tout cela, juste un pseudo-cynisme et la volonté de protéger nos valeurs dont personne ne sait ce qu'elles sont (

Réponse
Will
9/14/2016 21:36:19

Il est à noter que le même mal atteint les autres pays du monde, surtout ceux du monde musulman (totalement occidentalisé pendant la seconde partie du XXème siècle), où Daesh est devenu le receptacle de ce mélange incompréhensible idéalisme-nihilisme.

Se posent aussi les questions culturelles. Si le transhumanisme libertarien est bel et bien un danger, en quoi la mort dans la dignité ou la polygamie en sont ? Certes, mourir dans la dignité est une marque de fierté. Le maquillage aussi est une marque de fierté, l'habillement aussi. Les religions d'Abraham ne sont pas sans mépris envers les rois et les bijoux. Que penseraient-ils de notre culte de la cravate ? D'autres cultures pratiquent sans scrupule la mort dans la fierté, l'exemple du seppuku japonais est l'exemple le plus connu. Le Japon n'a pas disparu et n'est pas devenu une dystopie pour autant. De même, qu'est-ce qu'un mariage polygyne ou polyandre blesse, sinon la sensibilité catholique ? C'est le droit le plus absolu du catholique d'être heurté par ces pratiques, tout comme il peut être heurté par le système des castes hindoues ou la rigueur extrême du confucianisme. Mais possède-t-il une autorité morale en dehors de son église ?

Les comportements non adaptés aux circonstances sont stériles et la diversité est nécessaire à notre survie. Les évolutionnistes s'amusent à nous expliquer que l'évolution est possible car elle consiste à utiliser des organes et des fonctions dans des buts pour lesquelles ils ne sont pas prévus, permettant la continuité du changement. Pourquoi cela ne serait-il pas vrai à l'échelle sociale ? Les valeurs idéelles sont-elles si dépendantes de la manière dont on les exprime ? Et même si c'était le cas, cela signifie que les comportements mineurs (tels que le transexualisme), s'ils ne mènent à rien, resteront mineurs. Vous tolérez déjà ce comportement, à quoi bon laisser la porte mi-ouverte, mi-fermée ?

Le problème se pose sur les questions d'égalité de résultat, de parité, de représentation obligatoire des minorités et autres manœuvres de bonne conscience proprement humiliantes pour les supposés bénéficiaires. Vous avez parfaitement raison de dénoncer cela. C'est une conséquence de notre société de consommation existentialiste qui a banni l'idéal avec Dieu. On ne recherche plus que des petits buts, qui nous donnent des prétextes pour haïr, nous qui dans notre paranoïa sommes devenus incapables d'aimer. Il s'agit là d'haïr des symboles, l'intolérant, le capitaliste, etc. C'est pour cette raison que les commissaires de la tolérance sont absolument fermés au dialogue et prennent tant de plaisir au harcèlement et aux abus, à tel point que certains osent poser la question tout haut. Un article de GQ d'il y a quelques mois parlait de ce problème. C'est d'autant plus grave qu'en se greffant à des systèmes d'idées pour légitimer leur haine, ces individus les défigurent et les décrédibilisent totalement, à la manière d'un virus.

Ce qui est terrible, c'est la mutation de toutes ces tendances négatives pour former un grand courant idiocratique, celui des trolls, du politiquement incorrect, identitariste, etc. Vous qui vous inquiétez des dérives que prend notre société, n'êtes-vous pas troublé par la fierté des arguments faux et violents, la brume comme moyen de protection rhétorique, les provocations constantes à intérêt égotique, le bricolage d'identités basées sur le racisme et la magie, le soutien sans faille d'une partie de l'opinion fascinée par le sang à des dictatures brutales ? Notre société ne virera pas IIIeme Reich car elle est bien trop faible pour cela. Mais la destruction de sa crédibilité est certaine. Qui, face au phénomène Trump, peut encore regarder les Etats-Unis dans les yeux ? La Chine a déjà utilisé cet exemple pour clamer l'échec bouffonnesque de la démocratie.

Réponse
Will
9/14/2016 21:39:46

Nos amis les politiques sont les jardiniers attentifs de ce mal. Ils utilisent de vieilles théories discréditées (choc des civilisations pour ne citer que celle-là) pour jouer sur la peur ou se faire passer pour le mal nécessaire contre la catastrophe imaginaire. Ils ne sanctionnent jamais les délires de leurs intellectuels mais les couvrent de rubans rebelles avant de les faire leurs. Ils provoquent les étrangers, ils font preuve d'une absence totale d'empathie envers les catastrophes au-delà de nos frontières, ils lancent des campagnes de diffamation contre tout pays non-occidental qui réussit, et ils font preuve d'un mépris raciste envers des puissances économiques en devenir. Je suis pessimiste car certains n'ont visiblement pas compris que l'Occident qui a triomphé en 1991 n'était pas la vieille Europe des langues mortes, de la race blanche et de l'intolérance (celle-ci aurait du être rayée de la carte par la Révolution des travailleurs) mais les Etats-Unis de l'entreprise, du multiculturalisme et du bon sens. Les partis d'extrême droite et indirectement de droite parlent de lutte contre le complot mondialiste (en rayant par prudence le mot Illuminati). La grande Europe dont ils rêvent a tout l'air d'un pétard mouillé. Déjà à l'époque de Byzance, Constantinople honorait des milliers de cultures et de religions dans ses cimetières.

Le seul moyen de remédier à tout cela est d'abandonner cette haine à prétextes, et de s'abandonner soi-même, d'agir au niveau individuel avec charité et désintérêt. C'est là tout l'esprit des religions à leur débuts. Hélas, lorsqu'on essaie d'équilibrer la charité au pouvoir d'achat, lorsqu'on s'excite devant des guerres à l'étranger comme s'il s'agissait de jeux télévisés, lorsqu'on se lamente par intérêt politique (aujourd'hui ne sont pleurés que ceux qui sont tués par le terrorisme de Daesh) et lorsqu'on parle comme si l'apocalypse arrivera demain, la fin est proche.

Une dernière chose : Nietzsche s'opposait absolument au transhumain qui a éliminé tout le désagréable. C'est même le sujet de son prologue dans Zarathoustra. L'homme possède des idées douteuses mais celle-ci n'en fait pas partie. Je posterai la citation dans un commentaire à part.

Réponse
Will
9/14/2016 21:40:55

Ils ont quelque chose dont ils sont fiers. Comment nomment-ils donc ce dont ils sont fiers ? Ils le nomment civilisation, c’est ce qui les distingue des chevriers.
C’est pourquoi ils n’aiment pas, quand on parle d’eux, entendre le mot de « mépris ». Je parlerai donc à leur fierté.
Je vais donc leur parler de ce qu’il y a de plus méprisable : je veux dire le dernier homme. »
Et ainsi Zarathoustra se mit à parler au peuple :
Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !
Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.
« Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ? » — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur, » — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.
Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
« Autrefois tout le monde était fou, » — disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.
On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt — car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
« Nous avons inventé le bonheur, » — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. --
Ici finit le premier discours de Zarathoustra, celui que l’on appelle aussi « le prologue » : car en cet endroit il fut interrompu par les cris et la joie de la foule. « Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, — s’écriaient-ils — rends-nous semblables à ces derniers hommes ! Nous te tiendrons quitte du Surhumain ! » Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue. Zarathoustra cependant devint triste et dit à son cœur :
« Ils ne me comprennent pas : je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Trop longtemps sans doute j’ai vécu dans les montagnes, j’ai trop écouté les ruisseaux et les arbres : je leur parle maintenant comme à des chevriers.
Placide est mon âme et lumineuse comme la montagne au matin. Mais ils me tiennent pour un cœur froid et pour un bouffon aux railleries sinistres.
Et les voilà qui me regardent et qui rient : et tandis qu’ils rient ils me haïssent encore. Il y a de la glace dans leur rire. »

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Stacy Warner link
12/31/2020 17:06:28

Great reading youur post

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    Jean Staune, animé par de nombreuses  passions multi-disciplinaires, et bien des rêves,  partage ici ses découvertes, ses réflexions  et sa quête de connaissance

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